Les Derniers Jours de Pompéi
pressât honnêtement ses hôtes de ne pas se lever de table encore, ne put s’empêcher de leur laisser voir que sa curiosité avait été éveillée par les éloges qu’ils avaient faits d’Ione. Ils décidèrent donc qu’ils iraient de ce pas (à l’exception de Pansa et du parasite) à la maison de la belle Grecque. Ils burent à la santé de Glaucus et de Titus, ils accomplirent leur dernière libation, reprirent leurs pantoufles, descendirent les escaliers, traversèrent l’atrium brillamment éclairé et passèrent sans craindre de morsures devant le terrible dogue, dont la peinture défendait le seuil ; ils se trouvèrent alors au moment où la lune se levait dans les rues de Pompéi joyeuses et encore remplies par la foule.
Ils parcoururent le quartier des orfèvres, tout étincelant de lumières que réfléchissaient les pierres précieuses étalées dans les boutiques, et arrivèrent enfin à la porte d’Ione. Le vestibule était illuminé par des rangées de lampes ; des rideaux de pourpre brodés ouvraient l’entrée du tablinum dont les murs et le pavé en mosaïque brillaient des plus vives couleurs que l’art avait pu y répandre et sous le portique qui entourait un odorant jardin, ils trouvèrent Ione déjà environnée de visiteurs l’adorant et l’applaudissant.
« Ne m’avez-vous pas dit qu’elle était Athénienne ? demanda Glaucus à voix basse en mettant les pieds dans le péristyle.
– Non, elle est de Néapolis.
– De Néapolis », répéta Glaucus ; et au même moment le groupe qui entourait Ione s’entrouvrit et présenta à sa vue cette brillante apparition, cette beauté pareille aux nymphes, qui depuis quelques mois, avait surnagé sur l’abîme de sa mémoire.
Chapitre 4
Le temple d’Isis. – Le prêtre. – Le caractère d’Arbacès se développe lui-même
Notre histoire veut que nous retournions à l’Égyptien. Nous avons laissé Arbacès après qu’il eut quitté Glaucus et son compagnon près de la mer caressée par le soleil de midi. Dès qu’il fut près de la partie la plus fréquentée de la baie, il s’arrêta et contempla cette scène animée en croisant les bras et avec un sourire amer sur ses sombres traits.
« Sots, dupes fous, que vous êtes ! se dit-il à lui-même ; qu’il s’agisse de plaisirs ou d’affaires de commerce ou de religion, vous êtes également gouvernés par les passions que vous devriez conduire. Comme je vous mépriserais si je ne vous haïssais pas ! Oui je vous hais, Grecs ou Romains. C’est à nous, c’est à notre pays, c’est à la science profonde de l’Égypte que vous avez dérobé le feu, qui vous donne vos âmes. Vos connaissances, votre poésie, vos lois, vos arts, votre barbare supériorité dans la guerre (et combien encore cette copie mutilée d’un vaste modèle a dégénéré dans vos mains !) ; vous nous avez tout volé, comme les esclaves volent les restes d’un festin ; oh ! maintenant vous autres mimes, d’autres mimes Romains, vils descendants d’une troupe de brigands, vous êtes nos maîtres. Les pyramides ne contemplent plus la race de Ramsès… L’aigle plane sur le serpent du Nil. Nos maîtres, non pas les miens. Mon âme, par la supériorité de sa sagesse, vous domine et vous enchaîne quoique ces liens ne vous soient pas visibles. Aussi longtemps que la science pourra dompter la force, aussi longtemps que la religion possédera une caverne du fond de laquelle sortiront des oracles pour tromper le genre humain, les sages tiendront l’empire de la terre… De vos propres vices, Arbacès distille ses plaisirs, plaisirs que ne profane pas l’œil du vulgaire, plaisirs vastes riches, inépuisables dont vos âmes énervées et émoussées dans leur sensualité grossière ne peuvent se faire une idée même en rêve. Continuez votre vie, esclaves insensés de l’ambition et de l’avarice ; votre soif de faisceaux, de questorats et de toutes les momeries d’un pouvoir servile, provoque mes rires et mon mépris. Mon pouvoir s’étend partout où règne quelque superstition. Je foule aux pieds les âmes que la pourpre couvre. Thèbes peut tomber ; l’Égypte peut ne plus exister que de nom. L’univers entier fournit des sujets à Arbacès. »
En prononçant ces paroles, l’Égyptien marchait lentement. Lorsqu’il entra dans la ville sa haute taille le fit remarquer au-dessus de la foule qui remplissait le forum et il se dirigea vers le petit et gracieux
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