Les Derniers Jours de Pompéi
L’ambition dans les régions d’une cour despotique et voluptueuse n’était que la lutte de la flatterie et de la ruse ; l’avarice était devenue la seule ambition ; on désirait les prétures et le gouvernement des provinces pour se livrer au pillage, et l’administration n’était que l’excuse des rapines. Dans les petits États, l’opinion est concentrée et forte. Chaque œil voit vos actions ; vos motifs publics se lient intimement à votre vie privée ; tout est plein dans cette étroite sphère de personnes qui vous sont familières depuis votre enfance. L’applaudissement de vos concitoyens est comme une caresse de vos amis. Mais dans les grands États, la cité, c’est la cour. Les provinces vous sont inconnues ; elles n’ont quelquefois ni le même langage ni les mêmes mœurs ; leur droit à votre patriotisme est presque nul ; les ancêtres de leurs habitants ne sont pas les vôtres. À la cour, vous désirez la faveur, et non la gloire ; loin de la cour, l’opinion publique vous est indifférente, et l’intérêt personnel n’a pas de contrepoids.
Italie ! Italie ! pendant que j’écris, tes cieux me regardent, tes mers s’étendent à mes pieds… N’écoute pas cette politique aveugle qui voudrait réunir toutes tes cités, en deuil de leurs républiques, dans un seul empire : fausse, pernicieuse illusion ! Ton seul espoir de régénération est dans ta division ; Florence, Milan, Venise, Gênes, peuvent être libres encore, pourvu que chacune de ces villes soit libre ; mais ne songe pas à la liberté du tout avec des parties esclaves ; le cœur doit être le centre du système, le sang doit circuler librement partout. Et, dans la vaste communauté que tu rêves, on ne voit qu’un géant faible et bouffi, dont le cerveau est imbécile, dont les membres sont morts, et qui paye en malaise et en faiblesse la faute d’avoir voulu dépasser les proportions naturelles de la santé et de la vigueur.
Rejetées ainsi sur elles-mêmes, les qualités les plus ardentes de Glaucus ne trouvaient pas d’issue, excepté dans cette imagination exubérante qui donnait de la grâce au plaisir et de la poésie à la pensée ; le repos était moins méprisable que la lutte avec des parasites et des esclaves, et la volupté pouvait avoir ses raffinements lorsque l’ambition ne pouvait être ennoblie. Mais tout ce qu’il y avait de meilleur et de plus brillant dans son âme s’était éveillé du moment qu’il avait connu Ione : là était un empire digne de l’effort des demi-dieux ; là était une gloire que les vapeurs impures d’une société corrompue ne pouvaient ni souiller ni obscurcir. L’amour, de tout temps, en tout lieu, trouve ainsi de la place pour ses autels d’or ; et dites-moi si, même dans les époques les plus favorables à la gloire, il y a jamais eu un triomphe plus capable d’enivrer et d’exalter que la conquête d’un noble cœur ? Soit qu’il fût inspiré par ce sentiment ou par tout autre, Glaucus, en présence d’Ione, sentait ses idées plus rayonnantes, son âme plus active, et en quelque sorte plus visible ; s’il était naturel qu’il l’aimât, il n’était pas moins naturel qu’elle le payât de retour. Jeune, brillant, éloquent, amoureux, et Athénien, il était pour elle comme une incarnation de la poésie du pays de ses ancêtres. Ce n’étaient plus les créatures d’un monde dont les combats et les chagrins sont les éléments ; c’étaient des choses légères que la nature semblait avoir pris plaisir à créer pour ses jours de fête, tant leur jeunesse, leur beauté, leur amour, possédaient de fraîcheur et d’éclat. Ils semblaient hors de leur place au milieu de cette terre rude et commune ; ils appartenaient à l’âge de Saturne et aux songes des demi-dieux et des nymphes. C’était comme si la poésie de la vie se recueillait et se nourrissait en eux-mêmes, comme si dans leurs cœurs se concentraient les derniers rayons du soleil de Délos et de la Grèce.
Mais si elle montrait de l’indépendance dans le choix de son genre de vie, son modeste orgueil demeurait vigilant en proportion et s’alarmait aisément. Les mensonges de l’Égyptien avaient été inspirés par une profonde connaissance de la nature d’Ione. Son récit de la grossièreté, de l’indélicatesse de Glaucus, l’avait blessée au vif : elle le ressentit comme un reproche à son caractère et à sa façon de vivre, et surtout
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