Les Derniers Jours de Pompéi
comme une punition de son amour. Elle comprit pour la première fois combien elle avait cédé vite à cette passion ; elle rougit d’une faiblesse dont elle commençait à apercevoir l’étendue ; elle s’imagina que c’était cette faiblesse qui avait produit le mépris chez Glaucus ; elle endura le mal le plus cruel des nobles natures… l’humiliation. Cependant son amour n’était peut-être pas moins alarmé que son orgueil ; si un instant elle murmurait des reproches contre Glaucus, si elle renonçait à lui, et le haïssait presque, un moment après elle versait des larmes passionnées, son cœur cédait à sa tendresse, et elle disait avec l’amertume de l’angoisse : « Il me méprise ; il ne m’aime pas. »
Aussitôt après le départ de l’Égyptien, elle s’était retirée dans sa chambre la plus secrète ; elle avait renvoyé ses femmes, elle s’était refusée à recevoir qui que ce fût ; Glaucus avait été exclu avec les autres ; il s’étonnait, il ne devinait pas le motif de cette solitude ; il était loin d’attribuer à son Ione, sa reine, sa déesse, ces caprices de femmes dont les poètes amoureux d’Italie ne cessent de se plaindre dans leurs vers. Il se la figurait, dans la majesté de sa candeur, au-dessus de tout artifice qui se plaît à torturer les cœurs. Il était troublé, mais ses espérances n’en étaient pas obscurcies, car il savait déjà qu’il aimait et qu’il était aimé. Que pouvait-il désirer de plus comme talisman contre la crainte ?
Au milieu de la nuit, lorsque les rues furent désertes et que la lune seule put être témoin de son adoration, il alla vers le temple de son cœur, la maison d’Ione {30} , et il lui fit la cour selon la manière ravissante de son pays. Il couvrit son seuil des plus magnifiques guirlandes, et dans chaque fleur il y avait un volume de douces passions. Il charma une longue nuit d’été par les accords du luth de Lycie et des vers que l’inspiration du moment lui faisait improviser.
Mais la fenêtre ne s’ouvrit point ; aucun sourire ne vint éclairer cette longue nuit ; tout était sombre et silencieux chez Ione ; il ignorait si ses chants étaient les bienvenus et si son amour était agréé. Cependant Ione ne dormait point, elle ne dédaignait pas de l’écouter ; ces doux chants montaient jusqu’à sa chambre, et l’apaisaient momentanément sans la subjuguer. Tant qu’elle écouta ces chants, elle ne crut plus son amant coupable ; mais lorsqu’ils eurent cessé et que les pas de Glaucus ne se firent plus entendre, le charme se brisa, et dans l’amertume de son âme, elle prit cette délicate prévenance pour un nouvel affront…
J’ai dit qu’elle avait fermé sa porte à tout le monde, à une exception près pourtant. Il y avait une personne qui ne se laissait pas exclure, et qui avait presque sur ses actions et dans sa maison l’autorité d’un parent : Arbacès réclamait, s’affranchissait de cette interdiction portée contre les autres ; il passait le seuil d’Ione avec la liberté d’un homme qui comprenait ses privilèges et qui était pour ainsi dire chez lui. Il forçait sa solitude avec un air tranquille et assuré, comme s’il ne faisait qu’accomplir une chose ordinaire.
Malgré l’indépendance du caractère d’Ione, il s’était acquis par son adresse un secret et puissant empire sur ses volontés. Elle ne pouvait le renvoyer ; parfois elle en eut le désir, mais elle n’en eut jamais la force : elle était fascinée par son œil de serpent. Il la retenait, il la dominait par la magie d’un esprit accoutumé à commander, à se faire craindre. Ne connaissant ni le caractère réel ni l’amour caché de son tuteur, elle éprouvait pour lui le respect que le génie ressent pour la sagesse, et la vertu pour la sainteté ; elle le regardait comme un de ces anciens sages qui acquéraient la connaissance des mystères de la nature par le sacrifice des passions de l’humanité. À peine le considérait-elle comme un être appartenant, ainsi qu’elle, à la terre. C’était à ses yeux un oracle à la fois sombre et sacré ! Il ne lui inspirait pas de l’amour, mais de la crainte. Sa présence ne lui était rien moins qu’agréable. Il assombrissait les plus brillants éclairs de son esprit. On eût dit, à son aspect imposant et glacial, une de ces hautes montagnes qui jettent une ombre sur le soleil ; aussi, ne pouvant pas empêcher ses visites, elle
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