Les Derniers Jours de Pompéi
que nous admirons ne déguise jamais l’étendue de ce mérite au possesseur. C’est la conscience orgueilleuse de certaines qualités non révélées au monde habituel, qui donne au génie cet air timide, réservé et troublé, qui vous étonne et vous flatte lorsque vous le rencontrez.
Ione donc connaissait son génie ; mais avec cette charmante facilité qui appartient de droit aux femmes, elle avait le talent, si rare chez les hommes d’un génie égal, d’abaisser sa gracieuse intelligence au niveau des gens qu’elle rencontrait. La source brillante répandait également ses eaux sur le sable, dans les cavernes, sur les fleurs ; elle rafraîchissait, elle souriait, elle éblouissait partout. Elle portait aisément l’orgueil, qui est le résultat nécessaire de la supériorité ; il se concentrait en indépendance dans son sein. Elle poursuivait ainsi sa carrière brillante et solitaire ; elle n’avait pas besoin de matrone pour la diriger et la guider ; elle marchait seule à la lueur de sa pureté inaltérable. Elle n’obéissait point à des usages tyranniques et absolus ; elle appropriait les usages à sa volonté, mais avec un charme si délicat, si féminin, si exempt d’erreur, qu’elle ne semblait jamais outrager la coutume, mais bien lui commander. Le trésor de ses grâces était inépuisable ; elle embellissait l’action la plus commune ; un mot, un regard d’elle paraissaient magiques. L’aimer, c’était entrer dans un monde nouveau, sortir de cette terre vulgaire et plate, pénétrer dans une région où l’on voyait toute chose à travers un prisme enchanté ; on croyait, en sa présence, entendre une exquise harmonie ; on éprouvait ce sentiment qui n’a presque plus rien de terrestre, et que la musique exprime si bien ; cet enivrement qui épure et élève, qui agit, il est vrai, sur les sens, mais qui leur communique quelque chose de l’âme.
Elle était particulièrement formée pour fasciner et dominer les hommes les moins ordinaires et les plus audacieux ; elle faisait naître deux passions : celle de l’amour et celle de l’ambition. On aspirait à s’élever en l’adorant : il n’était donc pas étonnant qu’elle eût complètement enchaîné et soumis l’âme ardente et mystérieuse de l’Égyptien, dans laquelle s’agitaient les passions les plus terribles. Sa beauté et son esprit l’enchaînaient à la fois.
S’étant mis à part du monde ordinaire, il aimait cette hardiesse de caractère qui savait aussi s’isoler au milieu des choses vulgaires. Il ne voyait pas, ou ne voulait pas voir que cet isolement même éloignait encore plus Ione de lui que de la foule. Leurs solitudes étaient aussi lointaines que les pôles, aussi différents que le jour et la nuit. Il était solitaire avec ses vices sombres et solennels ; elle, avec sa riche imagination et la pureté de sa vertu.
Il n’était donc point étrange qu’Ione eût captivé l’Égyptien ; il était bien moins étrange encore qu’elle eût subjugué soudainement et irrévocablement le brillant esprit et le cœur généreux de l’Athénien. La vivacité d’un tempérament qui semblait réfléchir les rayons de la lumière, avait précipité Glaucus dans les plaisirs. En s’abandonnant aux dissipations de son temps, il n’obéissait pas à des instincts vicieux, il n’écoutait que la voix de la jeunesse ; il ne suivait que les lois d’une heureuse organisation ; il illuminait de l’éclat de sa nature chaque abîme, chaque caverne qui se trouvait sur ses pas. Son imagination l’éblouissait, mais son cœur n’était pas corrompu. Avec plus de pénétration que ne lui en supposaient ses compagnons, il vit que leur dessein était d’exploiter sa fortune et sa jeunesse ; mais il n’estimait l’argent que comme un moyen de se procurer les joies de la vie, et la sympathie de l’âge était le seul lien qui l’unît à eux. Il sentait, il est vrai, l’impulsion de plus nobles pensées et de plus hautes espérances que celles qui naissent des voluptés satisfaites ; mais le monde était une vaste prison ayant pour geôlier le souverain impérial de Rome, et les mêmes vertus qui, dans les libres jours d’Athènes, l’auraient rendu ambitieux, le condamnaient, dans l’esclavage de la vertu, à l’inaction et à l’oisiveté. Car, dans cette civilisation contre nature et tendue à l’excès, tout ce qu’il y avait de noble dans l’émulation était prohibé.
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