Les Dieux S'amusent
l’aigle se mit à battre frénétiquement des ailes et réveilla Jupiter, Neptune
et Pluton, qui engagèrent aussitôt le combat. Mais leur infériorité numérique
était flagrante, et ils comprirent bientôt qu’ils allaient être submergés par
les Géants. C’est alors que Jupiter se résolut à employer, pour la première
fois, une arme secrète et dévastatrice dont il disposait. Cette arme suprême, c’était
la foudre. Comment Jupiter se l’était-il procurée, on l’ignore. Mon hypothèse
personnelle est qu’elle avait été inventée par le savant Prométhée, et que
celui-ci, pénétré de scrupules, avait fait promettre à Jupiter de ne jamais s’en
servir. Mais, dans le péril extrême où se trouvait Jupiter, les scrupules et
les promesses n’étaient plus de mise. Au moment où Neptune et Pluton reculaient
et où les Géants allaient prendre pied sur l’Olympe, un éclair aveuglant, sorti
de la main de Jupiter, déchira l’atmosphère et pulvérisa en un instant le
rocher qui servait de base à l’échafaudage construit par les Géants. Toute la
pile de rochers s’écroula aussitôt dans un énorme fracas, entraînant les Géants
dans sa chute. Depuis ce jour, pendant les orages, l’éclair de la foudre est
toujours suivi du bruit du tonnerre, semblable à celui de l’écroulement d’une
montagne.
La séparation des pouvoirs
C’est à la suite de cette chaude alerte que Jupiter inventa
et mit en pratique le principe de la séparation des pouvoirs. Ayant compris qu’il
ne pouvait pas, à lui seul, s’occuper de tout, et désireux d’autre part de
remercier ses frères pour leur participation à la guerre contre les Géants, il
décida de partager avec eux l’empire du monde. De l’univers, il fit trois parts,
d’ailleurs inégales ; la première, la plus importante, se composait du
ciel et de la terre ; la seconde, de la mer ; et la troisième, des
enfers qui, à cette époque, étaient encore vides, puisque l’homme n’avait pas
été créé. L’attribution des trois lots se fit par un tirage au sort, vraisemblablement
truqué par Jupiter. C’est à lui qu’échurent le ciel et la terre, cependant que
Neptune recevait l’empire des mers et Pluton l’empire des morts. Ainsi, malgré
le principe déclaré d’égalité entre les trois pouvoirs, Jupiter conservait en
fait une indiscutable prééminence. Pour mieux la marquer, il installa sa
résidence et son trône sur l’Olympe, tandis que Neptune et Pluton se construisaient
leurs palais, le premier au fond de l’océan et le second sous la terre.
Les trois frères avaient des caractères et des goûts fort
différents, qui se manifestèrent d’abord dans la manière dont ils organisèrent
leur existence.
Jupiter politicien
La personnalité de Jupiter ressemblait, sous de nombreux
aspects, à celle des grands politiciens de notre époque. Il aimait par-dessus
tout les contacts humains ou plutôt, dans son cas, les contacts divins. Il se
plaisait aux combinaisons et aux intrigues, à condition d’en tirer tous les
fils. Malgré sa stature imposante, ses sourcils épais qu’il fronçait parfois d’une
manière menaçante et sa voix tonnante qui, dans ses moments de colère, faisait
trembler son entourage, il se laissait facilement influencer, surtout par les
déesses et plus tard par les femmes. Car c’était ce qu’on appellerait aujourd’hui
« un homme à femmes ». Un chapitre entier de ce livre sera d’ailleurs
consacré bientôt à ses aventures féminines. Le seul aspect par lequel il se
différenciait des politiciens modernes était son aversion pour le mensonge. Non
seulement il avait pour principe de ne jamais mentir lui-même, sauf pour
dissimuler à son épouse ses infidélités conjugales, mais encore, comme le dit
Homère, « il ne venait jamais en aide à ceux qui mentent ou qui violent
leurs serments ».
Son premier souci, après être devenu le maître de l’Olympe, fut
de se trouver une épouse. Compte tenu de son rang, il ne pouvait envisager de
se marier avec une déesse de deuxième ordre, et son choix se limitait donc aux
trois déesses à part entière qui existaient à l’époque, c’est-à-dire ses
propres sœurs. Il choisit la plus belle des trois, Junon, et, comme nous le
verrons plus loin, eut souvent l’occasion par la suite de s’en mordre les
doigts. Mais laissons-le pour l’instant savourer les premiers moments de son
triomphe et de sa gloire. Assis dans son trône
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