Les Dieux S'amusent
accompagné sa boule blanche, au procès d’Oreste :
— Il me semble encore t’entendre dire qu’Oreste n’était
pas foncièrement coupable et qu’il fallait lui laisser une chance de s’amender.
— Je ne regrette pas mon vote, lui répondit Minerve. Je
préfère acquitter dix fois un coupable que de condamner une seule fois un
innocent.
35 • Les premières difficultés d’Ulysse
Au moment où
il s’embarquait à Troie pour retourner à Ithaque, Ulysse était déjà un héros
légendaire, haï par les uns et admiré par les autres. Chacun des traits de sa
riche personnalité était perçu tantôt comme un défaut, tantôt comme une qualité ;
son nom n’était jamais prononcé sans qu’y fut accolée quelque épithète
injurieuse ou laudative : fourbe ou avisé, lâche ou prudent, menteur ou
éloquent, dur ou énergique.
Ses ennemis, et notamment les survivants de l’armée troyenne
à la défaite de laquelle il avait si largement contribué, lui reprochaient ses
fourberies. Pour ses amis, ces fourberies apparaissaient au contraire comme de
géniales ruses de guerre. Ses adversaires, et parfois aussi ses propres
compagnons d’armes, lui reprochaient d’être lâche. Il est vrai qu’il n’aimait
pas les risques inutiles et qu’en certaines occasions il avait fui le danger, allant
même un jour jusqu’à abandonner Nestor derrière lui sur le champ de bataille. Mais
il avait aussi donné bien des preuves de sang-froid et de courage, telles que
son expédition nocturne à Troie avec Diomède ou sa fameuse opération du cheval
de Troie. Plusieurs cicatrices témoignaient d’ailleurs de sa valeur et il ne
dédaignait pas de les montrer, dans un geste théâtral, lorsque au cours d’un
débat public quelqu’un mettait en doute son courage : l’une, qu’il portait
au genou droit, lui avait été faite à l’âge de quinze ans alors qu’au cours d’une
partie de chasse, à Ithaque, il attaquait hardiment un sanglier. II en portait
une autre à la poitrine et prétendait, sans que personne pût le vérifier, qu’elle
lui avait été faite par Mars lui-même, au cours d’un combat singulier dans la
plaine de Troie. Quant à la troisième, que lui avait laissée le javelot d’Hector
à la fesse gauche, il en était moins fier et si, soulevant sa tunique, il la
montrait parfois à un interlocuteur, c’était en signe de mépris ou de dérision.
On lui reprochait parfois aussi son avarice et sa cupidité. Selon
ses amis, ces traits de caractère se justifiaient chez Ulysse par la petitesse
et la pauvreté de son royaume, l’île d’Ithaque au sol ingrat, tout juste
capable de nourrir quelques troupeaux de chèvres ou de brebis et de porter
quelques maigres champs de blé. D’ailleurs, sa prétendue avarice ne l’empêchait
pas de faire preuve parfois de générosité, comme lorsqu’il avait fait cadeau à
Pyrrhus des armes d’Achille.
Enfin, on l’accusait souvent, non sans raison, de dureté.
Il en avait donné des preuves nombreuses, notamment en
faisant condamner injustement à mort Palamède et en approuvant l’exécution par
Pyrrhus du petit Astyanax. Mais il était capable aussi d’éprouver de bons
sentiments, non seulement à l’égard de ses vieux parents, de son épouse et de
son fils mais parfois aussi de ses rivaux : il l’avait prouvé en
intervenant en faveur du grand Ajax, après que celui-ci se fut suicidé dans les
circonstances que l’on connaît.
Amis et ennemis s’accordaient d’ailleurs à lui reconnaître
de grandes qualités. Son intelligence, sa finesse, ses talents oratoires
étaient réputés. Son habileté manuelle, notamment dans le travail du bois, était
exceptionnelle. Il avait construit de ses propres mains la plus grande partie
de son palais d’Ithaque et réalisé, à cette occasion, certaines innovations
architecturales : sa chambre à coucher, par exemple, était construite
autour d’un olivier centenaire, qu’il n’avait pas voulu couper et dont le tronc
servait de montant inamovible à un lit conjugal fait du même bois ; C’était
aussi Ulysse qui avait dirigé et mené à bien, en quelques heures, la
construction du cheval de Troie. Enfin, bien que ce fait soit moins souvent
mentionné, Ulysse était un artiste, et plus précisément un mélomane raffiné. Si,
contrairement à Achille, il ne jouait lui-même d’aucun instrument, il éprouvait,
en écoutant de la bonne musique, de profondes émotions qu’il
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