Les Dieux S'amusent
est capable d’en commettre beaucoup d’autres.
Il ne s’amendera jamais. Pour le mettre hors d’état de nuire, il faut le
condamner à la peine capitale. Quant au sort qui lui sera réservé après sa mort,
ce n’est pas à nous d’en décider : cette question relève de la compétence
des trois juges des enfers, Minos, Eaque et Rhadamante.
Apollon plaida les circonstances atténuantes. Il souligna l’horreur
du crime dont s’était rendue coupable Clytemnestre ; il rappela qu’Oreste
avait été poussé à la vengeance par l’oracle de Delphes ; il utilisa même
certains arguments spécieux :
— Il est moins grave, assura-t-il, d’assassiner une
mère, comme l’a fait Oreste, qu’un père, comme l’avait fait Clytemnestre. Car c’est
le père qui joue le rôle essentiel dans la procréation : c’est de lui que
vient le germe de l’enfant, la mère se contentant d’héberger le fœtus pendant
quelques mois. D’ailleurs, il est avéré qu’aucun enfant ne peut naître sans
père, alors qu’au contraire l’exemple de Minerve, née directement du cerveau de
Jupiter, montre qu’on peut parfaitement se passer de mère.
Lorsque Apollon eut terminé sa plaidoirie, on passa aux
explications de vote et au dépôt des boules.
La coutume voulait que les quatre dieux les plus anciens, ceux
de la première génération, votassent en premier. Ils déposèrent tous les quatre
une boule noire : Jupiter et Junon parce qu’ils détestaient toute forme de
parricide, Pluton parce qu’il avait été convaincu par son propre réquisitoire, et
Neptune parce qu’il avait l’habitude, depuis la guerre contre les Géants, de
toujours soutenir ses frères dans les circonstances graves.
Apollon, qui se prononçait ensuite, déposa naturellement une
boule blanche ; sa sœur Diane, qui le suivait en tout, en fit autant :
Vulcain vota aussi l’acquittement ; tout en essayant de justifier son vote
par des arguments honorables, il avait des motifs personnels et secrets d’indulgence
à l’égard d’Oreste : ayant été bien souvent trompé par son épouse Vénus, il
n’avait aucune pitié pour les femmes infidèles. Cérès déposa elle aussi une
boule blanche : elle n’avait rien compris au procès, mais elle trouvait qu’Oreste
avait une bonne tête.
On en était alors à quatre voix partout, et c’était au tour
de Mars de voter. Il n’aimait pas les longs discours :
— La mort, sans phrases, dit-il simplement en déposant
sa boule noire.
À la surprise générale, Vénus vota elle aussi la mort. Ce n’est
pas qu’elle fût sanguinaire par principe, mais elle songeait que si l’on
autorisait les fils à tuer leurs mères chaque fois qu’elles commettraient un
adultère, la terre serait vite dépeuplée.
Mercure, au contraire, déposa une boule blanche : déjà
dieu des voleurs, il ambitionnait sans doute de devenir aussi celui des
assassins.
Il y avait maintenant dans l’urne six boules noires et cinq
boules blanches, et seule Minerve n’avait pas encore voté. Seule aussi de tous
les dieux, elle essayait depuis le début du procès de ne pas se laisser
influencer par ses passions, ses intérêts ou ses préjugés personnels ; elle
ne recherchait que la justice. Elle prit enfin la parole.
— Oreste, dit-elle, a commis un crime affreux. Mais, poursuivi
par le remords, il a déjà expié. Pour lui donner une chance de se racheter par
une vie honorable, je dépose dans l’urne une boule blanche. Dès lors, puisqu’il
n’y a pas de majorité pour le condamner, Oreste doit être acquitté.
Depuis ce jour, dans tous les tribunaux de Grèce, il fut
établi comme un » principe fondamental que l’égalité des suffrages
profiterait toujours à l’accusé.
34. Retour de Pyrrhus et second crime d’Oreste
La mort de Pyrrhus
est , de tous les événements mythologiques, celui qui a fait l’objet des
versions les plus diverses et les plus contradictoires, notamment chez Homère, Euripide,
Virgile et Racine. Le seul point sur lequel tous ces auteurs se rejoignent, c’est
que Pyrrhus fut assassiné par Oreste. Mais, sortis de là, ils ne sont d’accord
ni sur la date, ni sur les circonstances, ni sur les motifs de ce meurtre. Pour
essayer de clarifier cette ténébreuse affaire, j’ai adopté une démarche
historique moderne consistant à analyser les faits à l’aide de la théorie
mathématique des « relations dans un ensemble ». L’ensemble dont il s’agit
ici, et
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