Les disparus
pendant une
minute et puis elle a dit, Si je vous vois, ce sera dans un restaurant, mon
beau-frère est malade, je ne peux pas recevoir des gens ici.
Très bien, ai-je dit. C'est indifférent pour nous. Nous vous
retrouverons où vous voudrez, dites-nous simplement où.
En silence, j'articulais gagné pour Matt.
Ouais ! s'est écrié Matt.
OK, a dit Meg, je vous verrai demain, mercredi.
Téléphonez-moi ce soir, nous fixerons l'heure.
Formidable ! ai-je dit. Merci beaucoup !
Plus tard, dans la soirée, j'ai téléphoné à Meg de nouveau
depuis notre hôtel. Elle avait certainement eu le temps de réfléchir à notre
rendez-vous.
Elle a dit, J'ai décidé que nous allions nous rencontrer
ici, chez Salamon, pour le déjeuner.
Formidable ! me suis-je exclamé. J'ai fait le V
de la victoire en direction de Matt qui regardait les nouvelles à la
télévision. Le premier soldat américain avait été tué dans la nouvelle guerre.
Mais je ne peux rien préparer pour vous, a ajouté Meg.
Ce n'est pas grave, ai-je dit.
Peut-être que je pourrais faire quelques sandwichs, a-t-elle
dit.
Nous adorons les sandwichs, ai-je roucoulé.
Alors vous devriez venir vers midi, a-t-elle dit. Elle m'a
donné l'adresse de M. Grossbard, ajoutant d'une voix ferme que nous ne
pourrions pas lui parler, parce qu'il était trop fragile pour sortir de son
lit. J'ai serré les dents et j'ai répondu que ce n'était pas grave, que nous
comprenions. Je me suis apprêté à raccrocher.
Il y a une chose encore sur laquelle j'insiste
particulièrement, a-t-elle dit d'une voix qui s'était durcie.
Oui ? ai-je dit.
Et elle m'a alors donné la liste des conditions dans
lesquelles elle acceptait de me parler en tête à tête.
Premièrement : elle ne parlerait pas de la guerre, parce que
c'était un sujet trop pénible pour elle. Vous savez, a-t-elle dit, je ne parle
jamais de l'Holocauste. Mon fils est un rat de bibliothèque, il me supplie de
tout écrire, et maintenant que j'approche de la fin, je pense parfois que je
vais peut-être le faire. Mais je ne peux pas – je n'arrive pas à me
décider.
OK, ai-je dit. J'ai promis de ne pas lui poser de questions
sur la guerre.
Elle a poursuivi. Elle préférait ne pas parler de sa propre
vie et ne répondrait qu'à des questions d'ordre général concernant la vie à
Bolechow pendant les années qui avaient précédé la guerre, pendant son enfance
et le début de son adolescence. Elle serait très heureuse de partager ses
souvenirs de la famille Jäger, mais elle préférait ne pas parler de sa propre
famille. Si, pour une raison quelconque, elle faisait mention de certaines
expériences qu'elle avait connues pendant la guerre, cela devait rester entre
nous et je ne devrais pas en faire mention dans le livre qu'elle savait que
j'allais écrire un jour.
Les dents serrées, j'ai dit, OK.
Alors vous voulez toujours m'interviewer ? a demandé Meg, et
cette fois j'ai eu l'impression qu'elle souriait de son sourire amer.
Bien sûr, ai-je répondu. Peut-être que j'étais déjà en train
de me dire qu'elle allait changer d'avis quand nous serions là, quand nous
sortirions notre matériel d'enregistrement, la caméra digitale, les trépieds et
les parapluies de Matt, les bandes magnétiques et tout le reste.
Il y a encore une chose, a dit Meg.
J'ai su, avant même qu'elle ouvre la bouche, ce qu'elle
allait dire. Elle a dit, Je ne répondrai à aucune question concernant Ciszko
Szymanski.
Ce qui explique pourquoi,
même si Matt et moi avons passé en fait près de quatre heures avec elle,
pendant lesquelles, ayant apparemment oublié les restrictions qu'elle avait
imposées, Meg a parlé à n'en plus finir non seulement de ce dont elle se
souvenait à propos de ma famille, mais aussi de la guerre, des autres gens dont
elle se souvenait, des histoires souvent terribles, je ne peux pas en
reproduire une ligne.
Je ne veux pas que ma vie se retrouve dans votre livre,
m'a-t-elle dit. Un de ces jours, je vais écrire mon propre livre. Oui, vous
verrez, je vais le faire.
Elle et moi, même au moment où elle l'a dit, savions parfaitement
qu'elle n'écrirait jamais un livre elle-même, mais en dépit de ma frustration
de ne pouvoir inclure certaines choses qu'elle m'a dites ce jour-là, des
histoires et des anecdotes qui pourraient éclairer ce qu'a pu être le fait de
traverser la guerre à Bolechow, je comprends parfaitement ce dont elle avait
peur, pourquoi elle redoutait de voir
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