Les disparus
escaliers en béton de l'immeuble des Reinharz et nous avons
rejoint le parking. Avec cette leçon de cuisine improvisée et la dégustation du bulbowenik, nous étions restés beaucoup plus longtemps que prévu. Le
soleil, bas sur l'horizon, était doux. Une fois dans la voiture de Shlomo, nous
avons baissé les vitres. Shlomo avait l'air préoccupé parce qu'il cherchait à
retrouver la route du retour depuis l'immeuble de la rue Rambam – une rue
qui portait le nom, j'étais heureux de le constater, du grand érudit et
philosophe juif du XII e siècle, Maïmonide (dont le nom
hébreu, Rabbi Mosheh ben Maymon, est rendu par l'acronyme RMBM). Rambam était
un Juif né en Espagne dont la famille avait fui les persécutions antijuives du
dirigeant musulman de l'Espagne pour s'établir finalement en Egypte, où
Maïmonide était devenu le conseiller du sultan éclairé du Caire. Il est, avec
Rachi, l'érudit le plus largement admiré et étudié de tous les intellectuels
juifs. Les conceptions rationnelles qu'il formule dans son chef-d'œuvre, Le
Guide des égarés – et, il est difficile de ne pas y penser, l'immense
renommée dont jouissait Rambam –, ont fait enrager certains de ses rabbins
rivaux en France, au point qu'ils l'ont dénoncé à l'Inquisition française,
alors que sa mort a été pleurée (par contraste) pendant trois jours entiers par
les musulmans du Caire. Où vivez-vous et à qui va votre loyauté ? demande parashat
Lech Lecha. Et ce n'est pas étonnant.
En prenant le chemin du retour dans cette rue israélienne
dédiée à cet homme remarquable, nous avons discuté avec enthousiasme de notre
longue interview des Reinharz.
Elle était donc enceinte, ai-je dit à Shlomo qui
scrutait le nom des rues.
Hé bien, c'est ce qu'elle dit, a-t-il répliqué. Mais c'est très
intéressant, non ?
J'ai hoché la tête. Très intéressant. J'étais allé en
Australie sans avoir la moindre idée des histoires que nous allions entendre,
et à présent j'avais l'impression d'avoir un véritable drame sur les bras. Je
me demandais comment réagirait Meg si je décidais de partager ce dernier détail
avec elle.
Nous avons rapidement atteint la périphérie de la ville et
foncé vers Tel-Aviv. Nous devions nous sentir tous les deux épuisés après cette
longue journée. Je n'ai pas été gêné par le fait que Shlomo, après quelques
minutes d'un silence amical, allume la radio. Une voix de femme chantait et il
m'a fallu un moment pour me rendre compte qu'elle ne chantait pas en hébreu
mais en anglais. L'air était familier, mais je n'ai pas reconnu tout de suite
la chanson parce que les paroles, elles, ne m'étaient pas familières. Je ne
connaissais que le refrain, apparemment. La voix de la femme était devenue
celle d'une jeune fille, une fille qui racontait l'histoire de sa propre mort.
Elle était morte, chantait-elle, par amour pour un garçon qui ne l'aimait pas.
Et la voix entonnait le refrain :
Je voudrais, je voudrais encore
Je voudrais en vain
Je voudrais être
Une jeune fille demain
Mais jeune fille demain
Jamais ne serai
Jusqu’à ce que le lierre
Se fasse pommier
Je me suis redressé, bredouillant, avant de me tourner vers
Shlomo. C'est la chanson ! ai-je fini par crier, c'est la chanson !
Celle dont je parlais ce matin en venant. La chanson que chantait mon
grand-père !
Nous avons écouté la voix qui chantait le dernier couplet,
qui a capté mon attention, sans doute parce que l'idée de mourir par amour occupait
mon esprit au cours de cette chaude soirée :
Oh, faites-moi une tombe
Grande, large et profonde
De marbre couvrez
Ma tête et mes pieds
Et au milieu mettez
Une tourterelle
Afin que le monde m'appelle
Celle qui est morte d'aimer.
Comment diable, me suis-je dit en notant les paroles
– quelque chose à propos de la tombe, du marbre, de la tourterelle,
m'émouvait et faisait que je voulais me souvenir de cette chanson –, mon
grand-père était-il tombé sur cette chanson ? Pourquoi l'avait-il apprise ?
La chanson était terminée et le speaker de la radio a dit
quelque chose en hébreu, très rapidement.
Shlomo a dit, C'est une chanson irlandaise.
Comment Grandpa l’avait-il apprise ? me suis-je dit
encore une fois. Et pourquoi ?
Shlomo a souri encore plus largement.
Vous voulez savoir autre chose ? a-t-il dit. Une autre
coïncidence ?
J'ai fait non de la tête. Je ne pouvais pas imaginer quelque
chose de plus étrange que ce qui
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