Les disparus
et c'est vers ce coin que Klara nous a fait signe d'aller
nous asseoir, pour manger et parler.
Il était évident qu'elle était très nerveuse. Pour la mettre
à l'aise, j'ai dit que je voulais commencer avec quelques questions
élémentaires : par exemple, en quelle année elle était née. Mille neuf cent
vingt-trois, a-t-elle répondu, et elle m'a alors demandé pourquoi je voulais le
savoir. Pendant que nous parlions, j'ai remarqué qu'elle faisait tourner ses
bagues sur ses doigts et que son regard se déplaçait constamment de Matt et moi
à Ewa.
Elle était l'aînée de quatre enfants, a-t-elle poursuivi,
une sœur et deux frères. Elle a vaguement souri en les nommant. Jozek,
Wladek, Amalia Rosalia. Son nom de jeune fille était Schoenfeld, son père
était ingénieur dans l'une des tanneries locales. Dans un débit accéléré, comme
une étudiante qui passe un examen dont elle espère se débarrasser, elle a dit,
Vous voulez savoir en quelle année mes parents sont morts ? Ils étaient très
jeunes quand ils sont morts. Tués par les Allemands. Léon et Rachel.
Elle s'est interrompue, puis s'est adressée à Ewa seulement
pendant une minute. Ewa s'est tournée vers moi et a dit que Klara avait préparé
une déclaration et qu'elle aurait préféré la lire plutôt que de continuer à
parler comme ça. Afin que vous sachiez tout, a-t-elle ajouté.
J'ai dit, Je préférerais avoir simplement une conversation.
Je ne veux pas qu'elle s'étudie. Dites-lui que c'est seulement une conversation
autour d'une table entre deux habitants de Bolechow.
Ewa a transmis et Klara a esquissé un sourire.
Je lui ai demandé si elle se souvenait des filles Jäger.
Après tout, Meg nous avait envoyés ici parce que Klara avait fait partie de
leur groupe. De combien de sœurs se souvenait-elle ? ai-je demandé.
Ewa a parlé à Klara et m'a dit, Elles étaient deux.
J'ai souri et je n'ai rien dit.
Ewa a continué. Elle ne connaissait que Frydka et elle avait
connaissance de la famille uniquement parce qu'elle achetait de la viande à la
boucherie. Mais en dehors de ça, elles n'avaient aucun contact, vraiment. Elle
était jeune et elles avaient des amies différentes. Elle peut vous dire ce dont
elle a entendu parler. Elle peut vous dire que Frydka était éprise de Ciszko
Szymanski et qu'il voulait la sauver. Evidemment, quelqu'un a dit aux Allemands
qu'il essayait de la cacher, et les Allemands sont évidemment venus et les ont
assassinés, lui et elle. Mais quand et où, elle ne le sait pas.
J'ai noté les deux évidemment et j'ai demandé un peu
après, Il était comment, Ciszko Szymanski ?
Ewa a dit, Elle ne le connaissait que de vue. Il était assez
costaud, tout le monde avait peur de lui. Parce qu'il était grand, fort, bien
bâti. Il était le fils d'un boucher, lui aussi.
Matt a souri et dit, Ils étaient d'accord sur la
viande ! et tout le monde a ri. Une fois encore, je me suis demandé ce qui
avait bien pu les rapprocher. Impossible de le savoir.
Klara a dit, Je ne sais pas pourquoi et comment ils se sont
rencontrés. Enfin, il l'aimait bien. C'était une très belle fille.
J'ai dit à Ewa, Dites-lui que nous avons entendu deux
histoires et que j'aimerais savoir laquelle des deux elle a entendue. La
première, c'est qu'il l'a emmenée dans la forêt pour essayer de la confier aux
partisans, et l'autre, c'est qu'il l'a cachée chez lui.
Ewa a traduit la question et Klara a haussé nettement les
épaules, avant de sourire plus largement qu'auparavant, un sourire résigné.
C'est possible, a dit Ewa après qu'elles ont échangé quelques mots. Enfin, elle
pense que la seconde – avec le grenier et quelqu'un qui a prévenu les
Allemands – est plus proche de la vérité. La première, celle des
partisans, elle n'en a jamais entendu parler. Mais elle ne veut rien dire dans
un sens ou dans l'autre.
Elle ne veut rien dire dans un sens ou dans l'autre s'est
révélé être le leitmotiv de cette première journée avec Klara, qui
semblait, sur tous les sujets dont nous parlions, redouter de s'engager sur une
déclaration définitive. Bien que ce fût frustrant pour nous, c'était, je m'en
rendais compte, admirable d'une certaine façon. Plus que n'importe quelle
personne avec qui nous avions parlé, Klara soulignait, cet après-midi-là, que
tout ce que quiconque prétendait savoir sur les destins de Shmiel et des
membres de sa famille était, au mieux, du ouï-dire. J'étais frappé de voir
combien elle
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