Les disparus
paraissait anxieuse à l'idée que quelque chose d'éventuellement
inexact pût lui être attribué. À un moment donné, j'ai dit, Expliquez-lui que
nous n'allons pas la confronter à ses déclarations, que je veux simplement
parvenir à ce... nuage d'informations.
Euh, je ne me souviens pas de grand-chose, a dit Klara à
Ewa. C'est très, très dur.
Ce n'est pas grave, ai-je dit, en essayant d'avoir un regard
rassurant pour Klara. J'ai alors décidé de ne plus parler, pour le reste de
cette interview, que de choses insignifiantes. J'ai dit, Alors vous avez dit
que vous la connaissiez de vue, c'était donc une fille connue dans la ville ?
Les deux Polonaises se sont parlé, puis Ewa s'est tournée de
nouveau vers moi. Elle était grande, elle avait très belle allure, une belle
femme.
Klara a dit dans ma langue, Très jolie ! Très
jolie ! Elle a souri, à Matt et à moi. Nous avons souri à notre tour.
Ensuite, elle a dit quelque chose à Ewa qui a eu l'air
intriguée tout à coup.
Elle a dit que c'était un bon camouflage.
J'ai dit, Qu'est-ce que vous voulez dire ?
Ewa a échangé quelques mots avec Klara et puis elle a dit,
Avant tout, le nez.
Klara a posé sa main sur son nez pour décrire un petit nez
en trompette.
Ewa a dit, Le nez, un peu comme ça. Et elle avait le teint
clair, et elle avait des traits slaves – pas mat comme moi, pas mat comme
Klara. Euh, en Pologne, on pouvait dire qu'elle était polonaise.
Camouflage, avait-elle dit. Je pensais à ce que
m'avait dit Meg dans les premières minutes de notre rencontre à Sydney. Vous
avez l'air très aryen. Quelqu'un qui avait cette apparence avait une chance de
vivre.
Ewa écoutait Klara et elle a dit, Elle n'était pas... elle
ne ressemblait pas à une Juive.
Puis elle m'a regardé et elle a demandé si c'était ce que
Meg Grossbard avait dit, elle aussi.
Parvenu à ce point ,
j'ai voulu mettre Klara un peu plus à l'aise. Je lui avais assuré que nous
n'aurions pas à parler de l'Occupation, mais elle semblait impatiente de lire
la déclaration qu'elle avait préparée. Je me suis dit que les mots qu'elle
avait écrits étaient un réconfort pour elle, sentiment que je connaissais bien,
moi qui avais commandé à tant de services d'archives tant de documents que
j'attendais, plein d'espoir. J'ai dit, Nous n'y voyons pas d'inconvénient.
Klara a tendu la main pour s'emparer d'une feuille de papier qui était posée
sur la table et l'a fixée un moment à travers ses verres teintés. Elle a commencé
à lire, phrase après phrase, Ewa traduisant au fur et à mesure. Klara Freilich
a dit :
Je suis née à Bolechow le 23 août 1923 et je suis allée à
Stryj, au lycée, à la Handelschule.
Elle a dit, En 1939, la situation s'est durcie pour les
Juifs, quand les Allemands sont arrivés dans notre ville. Quand ils ont
commencé à tirer et à bombarder notre ville, j'ai couru me réfugier dans les
bois avec mes parents et ma famille.
Elle a dit, En 1940, les Russes sont arrivés et les
Allemands sont partis. Les Russes sont restés dans notre ville jusqu'en 1941.
Elle a dit, Je me suis mariée en mai 1941, à l'époque où les
Russes étaient dans notre ville.
Elle a dit, En juin 1941, les Allemands sont revenus et
c'est alors que le véritable Holocauste des Juifs a commencé dans notre ville.
Compte tenu de l'industrie de notre ville, la tannerie, ils ont emmené les
Juifs les plus jeunes et les ont mis dans un endroit spécial...
(elle a dit barak, ce qui était le mot polonais, j'ai
supposé, pour Lager)
... et les plus vieux ont été conduits à Stryj.
Elle a dit, C'est pour cette raison que mon mari et moi
sommes restés dans cet endroit pour les jeunes et que nous avons commencé à
travailler dans la tannerie, à fabriquer de la colle.
Elle a dit, Chaque jour, nous nous rendions à notre travail,
accompagnés par la police allemande et par la police ukrainienne, et chaque
jour ils nous harcelaient et nous frappaient.
Klara a repris son souffle à cet instant précis et elle a
continué sa lecture. En décembre 1943, nous nous sommes enfuis dans les bois,
mais il était impossible d'y rester parce que les Allemands et la police
ukrainienne savaient tout et faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour reprendre
les gens.
Elle a dit, Par hasard, nous sommes tombés sur un type d'un
village voisin et il a été assez bon pour nous emmener avec lui dans son
village. Mais je dois souligner que ce type était moitié
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