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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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d'énormes blocs d'immeubles modernistes inoffensifs ; à moins d'y
vivre, ai-je pensé, il devait être impossible de trouver le domicile de qui que
ce fût. Alors que le taxi explorait lentement une rue après l'autre, Matt et
moi avons souri et dit, presque simultanément, que nous comprenions ce que
ressentait Ewa : nous n'avions pas beaucoup pensé à notre judéité, ni lui ni
moi, avant de nous lancer dans ce projet.
    La voiture s'est arrêtée. Nous étions arrivés.
    Klara Freilich nous attendait dans le petit hall de son
appartement qui était, Matt et moi l'avons immédiatement remarqué, rempli de
chaussures soigneusement alignées le long d'un mur. Ce truc des chaussures à
Bolechow ! m'a-t-il dit avec ce grand sourire rapide, avec ses petites
fossettes. J'ai regardé Klara qui me tendait la main. Elle était habillée avec
le soin et l'élégance un peu apprêtée des femmes qui ont été très jolies dans leur
jeunesse. Bien que ce fût l'heure du déjeuner, elle était habillée comme si
elle allait sortir pour dîner : un élégant tailleur à pantalon en laine noire,
un double rang de perles. Ses cheveux étaient noir foncé et son rouge à lèvres,
rouge électrique. Elle était assez menue. Pendant qu'elle nous regardait
attentivement, Matt et moi, ses yeux brillaient derrière d'énormes montures
dorées, dont les verres étaient légèrement teintés, je n'ai pas pu m'empêcher
de le remarquer, en rose. Elle avait un visage rond, dont la séduction était
accrue plutôt que diminuée par un petit nez spirituel, un peu épaté. Son fils
Marek, un homme de grande taille à la poigne solide et à la physionomie slave,
s'est avancé pour faire les présentations en anglais, et nous nous sommes tous
serrés la main, en hochant la tête et en souriant exagérément, comme c'est
toujours le cas lorsque le langage fait défaut. Klara a dit quelque chose à
Marek et, avec un petit rire comme pour s'excuser, il nous a demandé si cela
nous embêtait de retirer nos chaussures. Toute cette neige et cette
gadoue ! a-t-il dit en guise d'explication. Matt et moi nous sommes souri,
et Matt a dit, Pas de problème ! Notre mère nous fait faire la même
chose ! Marek a ri et a dit qu'il était intéressé d'entendre ce que sa
mère allait dire, puisque son défunt mari et elle avaient rarement parlé de
leurs vies d'avant-guerre à lui ou à ses frères et sœurs. Il a ajouté qu'il
avait essayé de faire venir ses enfants, tous adolescents, aujourd'hui, parce
qu'il pensait que ce serait important qu'ils connaissent leur héritage. Mais
ils n'avaient pas voulu.
    Nous avons traversé un petit couloir fermé par un rideau et
nous sommes entrés dans la salle de séjour ou la salle à manger. Contre un mur,
une crédence vitrée à trois étagères était soigneusement garnie de tout un
bric-à-brac qui renforçait l'impression que je commençais à me faire de Klara :
c'était une personne qui aimait les choses délicates et jolies. Sur l'étage
supérieur, scintillait une foule de figurines en verre et en porcelaine : à
part un grand Cupidon, presque toutes ces figurines étaient des ballerines
pirouettant, faisant des arabesques, étendant les bras, levant la jambe, se
penchant, se redressant, dans des attitudes à la fois charmantes et détendues.
Sur la deuxième étagère, il y avait pas mal d'argenterie : une petite carafe,
une aiguière assez grande, des coupes à Champagne. Sur l'étagère du bas, j'ai
aperçu un groupe de figurines en porcelaine assez mignonnes : un couple XVIII e assez élégamment vêtu en train de flirter, penché à jamais au-dessus d'une
table à jouer ; une laitière assise ; des figurines qui n'étaient pas sans
rappeler celles qui autrefois avaient orné les crédences et les tables des
appartements de mes grand-mères, où apparaissaient aussi régulièrement des
reproductions du Blue Boy de Gainsborough ; des figurines dont la
séduction, pour ces vieilles dames juives new-yorkaises de la classe moyenne,
ai-je conjecturé, repose dans le fantasme d'une noblesse oisive qu'elles y
projetaient, et qui était l'antithèse des vies que ces dames avaient
elles-mêmes vécues. Dans l'appartement de Klara, quelques gravures encadrées
étaient suspendues au-dessus d'un sofa et une table basse soutenait une plante
luxuriante et un candélabre en argent armé de cinq bougies rouges. A
l'extrémité de la pièce, il y avait une petite salle à manger avec une table et
quelques chaises,

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