Les disparus
vendredi matin et repartis le dimanche après-midi, je ne peux vous
dire que peu de choses à propos de Copenhague. Pendant la plus grande partie de
l'après-midi du vendredi et presque toute la journée du samedi, nous avons
parlé avec Adam Kulberg, pour l'essentiel dans l'appartement de sa fille,
Alena, professeur d'histoire de l'art pour qui j'ai éprouvé un attachement
immédiat, peut-être parce qu'elle est universitaire comme moi, peut-être parce
que nous avons d'autres choses en commun, le lien de parenté n'étant pas la
plus importante ; mais aussi – afin que Matt puisse prendre une photo qui
« ferait » Copenhague – dans un parc magnifique du centre de la
ville, dans une allée du centre, dans une allée de grands arbres lugubres où,
alors que nous nous y trouvions, la neige s'est mise à tomber. Comme nous
étions dans cette ville pour un séjour très bref, comme nous avons passé
presque tout notre temps avec Adam et Alena, nous ne pouvons vous dire que très
peu de choses à propos de Copenhague, ce qui est, je trouve, un peu honteux,
dans la mesure où le Danemark est le seul pays parmi les nations de l'Europe
continentale à avoir opposé une résistance paisible, mais remarquablement
efficace, aux politiques antijuives des nazis, l'exemple le plus spectaculaire
étant le passage clandestin et réussi, en une nuit, de presque tous les huit
mille Juifs du pays dans des petits bateaux jusqu'à la Suède, avec (selon le
livre que j'ai consulté) seulement quatre cent soixante-quatre Juifs déportés à
Theresienstadt, un endroit que j'ai eu le temps de visiter. Quatre cent
soixante-quatre sur huit mille, cela signifie que six pour cent des Juifs du
Danemark ont péri dans l'Holocauste, ce qui, même si cela peut paraître un
chiffre cruellement élevé, pâlit, en termes purement statistiques, en
comparaison des chiffres qu'il faut calculer pour un endroit comme, disons,
Bolechow, où sur les six mille Juifs – à peine moins que la totalité de la
population juive du Danemark – ne survivaient que quarante-huit personnes
en 1944, ce qui veut dire que quatre-vingt-dix-neuf virgule deux pour cent des
Juifs ont été tués dans cet endroit. Mais nous n'avions pas beaucoup de temps
pour explorer Copenhague, encore moins pour retrouver les traces de son
histoire pendant la guerre. En fait, on pourrait dire que l'ironie du sort veut
que, au cours des différents voyages que Matt et moi avons fait à la recherche
d'Oncle Shmiel et des autres, le seul artefact de ce célèbre sauvetage des
Juifs du Danemark que nous ayons vu ne se soit pas trouvé au Danemark, mais en
Israël, où un des minuscules bateaux qui ont servi à transporter les Juifs en
Suède et à l'abri est amoureusement conservé à Yad Vashem – où, parmi
d'autres choses, j'ai bien obtenu en effet des copies d'un certain nombre de
dépositions de témoins, recueillies juste après la guerre auprès des quelques
Juifs de Bolechow qui avaient survécu, dont une déclaration qui achève sa
description du comportement de la milice juive par la phrase suivante :
Finalement, les quatre dont les noms suivent sont ceux
qui ont agi misérablement dans le livre des Juifs de Bolechow : Izio Schmer,
Henek Kopel, Elo Feintuch (« der bejder »), Lonek Ellenbogen.
A côté de cette liste tapée à la machine se trouvait un addendum écrit à la main : Et Freilich (le frère de Jakub).
Toutefois, il est vrai que pendant les deux heures dont Matt
et moi disposions, avant notre premier rendez-vous avec Adam, nous avons traîné
dans le quartier de notre hôtel, raison pour laquelle, si quelqu'un devait dire
aujourd'hui « Copenhague » à l'un de nous, certaines images nous
viendraient à l'esprit, par exemple l'image d'un élégant petit palais avec une
magnifique cour pavée, dans laquelle paradaient des soldats dans de brillants
uniformes qui leur donnaient l'allure de jouets. Ou l'image d'une rue étroite
où étaient alignées des maisons basses du début du XIX e siècle,
l'une d'elles étant un magasin d'antiquités où Matt et moi avons passé
peut-être une demi-heure environ, après avoir descendu les quelques marches de
pierre qui menaient à la porte d'entrée, et où était accroché, parmi les
collections de livres du XVIII e siècle, les tableaux sombres et les
vases en étain, un immense exemplaire encadré de la une du jeudi 13 janvier
1898 du journal français L'Aurore, où éclatait en grandes lettres
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