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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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nouvelle d'une sorte de pillules compilées
de cent, et tant d'ingrediens de comte fait : il s'en esmeut
une feste et une consolation singuliere : car quel rocher
soustiendroit l'effort d'une si nombreuse batterie ? J'entens
toutesfois par ceux qui l'essayerent, que la moindre petite grave
ne daigna s'en esmouvoir.
    Je ne me puis desprendre de ce papier, que je n'en die encore ce
mot, sur ce qu'ils nous donnent pour respondant de la certitude de
leurs drogues, l'experience qu'ils ont faicte. La plus part, et ce
croy-je, plus des deux tiers des vertus medecinales, consistent en
la quinte essence, ou proprieté occulte des simples ; de
laquelle nous ne pouvons avoir autre instruction que l'usage. Car
quinte essence, n'est autre chose qu'une qualité, de laquelle par
nostre raison nous ne sçavons trouver la cause. En telles preuves,
celles qu'ils disent avoir acquises par l'inspiration de quelque
Dæmon, je suis content de les recevoir, (car quant aux miracles, je
n'y touche jamais) ou bien encore les preuves qui se tirent des
choses, qui pour autre consideration tombent souvent en nostre
usage : comme si en la laine, dequoy nous avons accoustumé de
nous vestir, il s'est trouvé par accident, quelque occulte
proprieté desiccative, qui guerisse les mules au talon ; et si
au reffort, que nous mangeons pour la nourriture, il s'est
rencontré quelque operation aperitive. Galen recite, qu'il advint à
un ladre de recevoir guerison par le moyen du vin qu'il beut,
d'autant que de fortune, une vipere s'estoit coulée dans le
vaisseau. Nous trouvons en cet exemple le moyen, et une conduitte
vray-semblable à cette experience : Comme aussi en celles,
ausquelles les medecins disent, avoir esté acheminez par l'exemple
d'aucunes bestes.
    Mais en la plus part des autres experiences, à quoy ils disent
avoir esté conduis par la fortune, et n'avoir eu autre guide que le
hazard, je trouve le progrez de cette information incroyable.
J'imagine l'homme, regardant au tour de luy le nombre infiny des
choses, plantes, animaux, metaulx. Je ne sçay par où luy faire
commencer son essay : et quand sa premiere fantasie se jettera
sur la corne d'un elan, à quoy il faut prester une creance bien
molle et aisée : il se trouve encore autant empesché en sa
seconde operation. Il luy est proposé tant de maladies, et tant de
circonstances, qu'avant qu'il soit venu à la certitude de ce
poinct, où doit joindre la perfection de son experience, le sens
humain y perd son Latin : et avant qu'il ait trouvé parmy
cette infinité de choses, que c'est cette corne : parmy cette
infinité de maladies, l'epilepsie : tant de complexions, au
melancholique : tant de saisons, en hyver : tant de
nations, au François : tant d'aages, en la vieillesse :
tant de mutations celestes, en la conjonction de Venus et de
Saturne : tant de parties du corps au doigt. A tout cela
n'estant guidé ny d'argument, ny de conjecture, ny d'exemple, ny
d'inspiration divine, ains du seul mouvement de la fortune, il
faudroit que ce fust par une fortune, parfaictement artificielle,
reglée et methodique Et puis, quand la guerison fut faicte, comment
se peut il asseurer, que ce ne fust, que le mal estoit arrivé à sa
periode ; ou un effect du hazard ? ou l'operation de
quelque autre chose, qu'il eust ou mangé, ou beu, ou touché ce jour
là ? ou le merite des prieres de sa mere-grand ?
Davantage, quand cette preuve auroit esté parfaicte, combien de
fois fut elle reiterée ? et cette longue cordée de fortunes et
de rencontres, r'enfilée, pour en conclure une regle.
    Quand elle sera conclue, par qui est-ce ? de tant de
millions, il n'y a que trois hommes qui se meslent d'enregistrer
leurs experiences. Le sort aura il r'encontré à poinct nommé l'un
de ceux-cy. Quoy si un autre, et si cent autres, ont faict des
experiences contraires ? A l'advanture y verrions nous quelque
lumiere, si tous les jugements, et raisonnements des hommes, nous
estoyent cogneuz. Mais que trois tesmoings et trois docteurs,
regentent l'humain genre, ce n'est pas la raison : il faudroit
que l'humaine nature les eust deputez et choisis, et qu'ils fussent
declarez nos syndics par expresse procuration.
    A MADAME DE DURAS.
    Madame, vous me trouvastes sur ce pas dernierement, que vous me
vinstes voir. Par ce qu'il pourra estre, que ces inepties se
rencontreront quelque fois entre vos mains : je veux aussi
qu'elles portent tesmoignage, que l'autheur se sent bien fort
honoré de la faveur

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