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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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s'estonnoit que les Grecs beussent sur la fin
du repas en plus grands verres qu'au commencement. C'estoit, comme
je pense, pour la mesme raison que les Alemans le font, qui
commencent lors le combat à boire d'autant. Platon defend aux
enfants de boire vin avant dix huict ans, et avant quarante de
s'enyvrer. Mais à ceux qui ont passé les quarante, il pardonne de
s'y plaire, et de mesler un peu largement en leurs convives
l'influence de Dionysus : ce bon Dieu, qui redonne aux hommes
la gayeté, et la jeunesse aux vieillards, qui adoucit et amollit
les passions de l'ame, comme le fer s'amollit par le feu, et en ses
loix, trouve telles assemblées à boire (pourveu qu'il y aye un chef
de bande, à les contenir et reigler) utiles : l'yvresse estant
une bonne espreuve et certaine de la nature d'un chascun : et
quand et quand propre à donner aux personnes d'aage le courage de
s'esbaudir en danses, et en la musique : choses utiles, et
qu'ils n'osent entreprendre en sens rassis. Que le vin est capable
de fournir à l'ame de la temperance, au corps de la santé.
Toutesfois ces restrinctions, en partie empruntées des
Carthaginois, luy plaisent. Qu'on s'en espargne en expedition de
guerre. Que tout magistrat et tout juge s'en abstienne sur le point
d'executer sa charge, et de consulter des affaires publiques. Qu'on
n'y employe le jour, temps deu à d'autres occupations : ny
celle nuict, qu'on destine à faire des enfants.
    Ils disent, que le Philosophe Stilpon aggravé de vieillesse,
hasta sa fin à escient, par le breuvage de vin pur. Pareille cause,
mais non du propre dessein, suffoqua aussi les forces abbatuës par
l'aage du Philosophe Arcesilaüs.
    Mais c'est une vieille et plaisante question, si l'ame du sage
seroit pour se rendre à la force du vin,
    Si munitæ adhibet vim
sapientiæ
.
    A combien de vanité nous pousse ceste bonne opinion, que nous
avons de nous ? la plus reiglée ame du monde, et la plus
parfaicte, n'a que trop affaire à se tenir en pieds, et à se garder
de s'emporter par terre de sa propre foiblesse. De mille il n'en
est pas une qui soit droite et rassise un instant de sa vie :
et se pourroit mettre en doubte, si selon sa naturelle condition
elle y peut jamais estre. Mais d'y joindre la constance, c'est sa
derniere perfection : je dis quand rien ne la
choqueroit : ce que mille accidens peuvent faire. Lucrece, ce
grand poëte, a beau philosopher et se bander, le voyla rendu
insensé par un breuvage amoureux. Pensent ils qu'une Apoplexie
n'estourdisse aussi bien Socrates, qu'un portefaix ? Les uns
ont oublié leur nom mesme par la force d'une maladie, et une legere
blessure a renversé le jugement à d'autres. Tant sage qu'il voudra,
mais en fin c'est un homme : qu'est il plus caduque, plus
miserable, et plus de neant ? La sagesse ne force pas nos
conditions naturelles.
    Sudores itaque et pallorem
existere toto
Corpore, et infringi linguam, vocémque aboriri,
Caligare oculos, sonere aures, succidere artus,
Denique concidere ex animi terrore videmus
.
    Il faut qu'il sille les yeux au coup qui le menasse : il
faut qu'il fremisse planté au bord d'un precipice, comme un
enfant : Nature ayant voulu se reserver ces legeres marques de
son authorité, inexpugnables à nostre raison, et à la vertu
Stoique : pour luy apprendre sa mortalité et nostre fadeze. Il
pallit à la peur, il rougit à la honte, il gemit à la colique,
sinon d'une voix desesperée et esclatante, au moins d'une voix
cassée et enroüée.
    Humani a se nihil alienum
putet
.
    Les poëtes qui feignent tout à leur poste, n'osent pas
descharger seulement des larmes, leurs Heros :
    Sic fatur lacrymans, classique
immittit habenas
.
    Luy suffise de brider et moderer ses inclinations : car de
les emporter, il n'est pas en luy. Cestuy mesme nostre Plutarque,
si parfaict et excellent juge des actions humaines, à voir Brutus
et Torquatus tuer leurs enfans, est entré en doubte, si la vertu
pouvoit donner jusques là : et si ces personnages n'avoyent
pas esté plustost agitez par quelque autre passion. Toutes actions
hors les bornes ordinaires sont subjectes à sinistre
interpretation : d'autant que nostre goust n'advient non plus
à ce qui est au dessus de luy, qu'à ce qui est au dessous.
    Laissons ceste autre secte, faisant expresse profession de
fierté. Mais quand en la secte mesme estimée la plus molle, nous
oyons ces ventances de Metrodorus :
Occupavi te, Fortuna,
atque cepi : omnesque aditus tuos interclusi, ut ad

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