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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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qu'entre
les sçavans : je dy en toute sorte de vertu. La vieille Rome
me semble en avoir bien porté de plus grande valeur, et pour la
paix, et pour la guerre, que ceste Rome sçavante, qui se ruyna
soy-mesme. Quand le demeurant seroit tout pareil, aumoins la
preud'hommie et l'innocence demeureroient du costé de
l'ancienne : car elle loge singulierement bien avec la
simplicité.
    Mais je laisse ce discours, qui me tireroit plus loing, que je
ne voudrois suyvre. J'en diray seulement encore cela, que c'est la
seule humilité et submission, qui peut effectuer un homme de bien.
Il ne faut pas laisser au jugement de chacun la cognoissance de son
devoir : il le luy faut prescrire, non pas le laisser choisir
à son discours : autrement selon l'imbecillité et varieté
infinie de nos raisons et opinions, nous nous forgerions en fin des
devoirs, qui nous mettroient à nous manger les uns les autres,
comme dit Epicurus. La premiere loy, que Dieu donna jamais à
l'homme, ce fut une loy de pure obeyssance : ce fut un
commandement, nud et simple où l'homme n'eust rien à cognoistre et
à causer, d'autant que l'obeyr est le propre office d'une ame
raisonnable, recognoissant un celeste, superieur et bien-facteur.
De l'obeyr et ceder naist toute autre vertu, comme du cuider, tout
peché. Et au rebours : la premiere tentation qui vint à
l'humaine nature de la part du diable, sa premiere poison,
s'insinua en nous, par les promesses qu'il nous fit de science et
de cognoissance,
Eritis sicut dii scientes bonum Et malum
.
Et les Sereines, pour piper Ulysse en Homere, et l'attirer en leurs
dangereux et ruineux laqs, luy offrent en don la science. La peste
de l'homme c'est l'opinion de sçavoir. Voyla pourquoy l'ignorance
nous est tant recommandée par nostre religion, comme piece propre à
la creance et à l'obeyssance.
Cavete, nequis vos decipiat per
philosophiam Et inanes seductiones, secundum elementa
mundi
.
    En cecy y a il une generalle convenance entre tous les
philosophes de toutes sectes, que le souverain bien consiste en la
tranquillité de l'ame et du corps : Mais où la trouvons
nous ?
    Ad summum sapiens uno minor est
Jove, dives,
Liber, honoratus, pulcher, rex denique regum :
Præcipue sanus, nisi cùm pituita molesta est.
    Il semble à la verité, que nature, pour la consolation de nostre
estat miserable et chetif, ne nous ait donné en partage que la
presumption. C'est ce que dit Epictete, que l'homme n'a rien
proprement sien, que l'usage de ses opinions : Nous n'avons
que du vent et de la fumée en partage. Les dieux ont la santé en
essence, dit la philosophie, et la maladie en intelligence :
l'homme au rebours, possede ses biens par fantasie, les maux en
essence. Nous avons eu raison de faire valoir les forces de nostre
imagination : car tous nos biens ne sont qu'en songe. Oyez
braver ce pauvre et calamiteux animal. Il n'est rien, dit Cicero,
si doux que l'occupation des lettres : de ces lettres, dis-je,
par le moyen desquelles l'infinité des choses, l'immense grandeur
de nature, les cieux en ce monde mesme, et les terres, et les mers
nous sont descouvertes : ce sont elles qui nous ont appris la
religion, la moderation, la grandeur de courage : et qui ont
arraché nostre ame des tenebres, pour luy faire voir toutes choses
hautes, basses, premieres, dernieres, et moyennes : ce sont
elles qui nous fournissent dequoy bien et heureusement vivre, et
nous guident à passer nostre aage sans desplaisir et sans offence.
Cestuy-cy ne semble il pas parler de la condition de Dieu
tout-vivant et tout-puissant ?
    Et quant à l'effect, mille femmelettes ont vescu au village une
vie plus equable, plus douce, et plus constante, que ne fut la
sienne.
    Deus ille fuit Deus, inclute
Memmi,
Qui princeps vitæ rationem invenit eam, quæ
Nunc appellatur sapientia, quique per artem
Fluctibus è tantis vitam tantisque tenebris,
In tam tranquillo et tam clara luce locavit.
    Voyla des paroles tresmagnifiques et belles : mais un bien
leger accident, mit l'entendement de cestuy-cy en pire estat, que
celuy du moindre berger : nonobstant ce Dieu precepteur et
ceste divine sapience. De mesme impudence est ceste promesse du
livre de Democritus : Je m'en vay parler de toutes choses. Et
ce sot tiltre qu'Aristote nous preste, de Dieux mortels : et
ce jugement de Chrysippus, que Dion estoit aussi vertueux que Dieu.
Et mon Seneca recognoist, dit-il, que Dieu luy a donné le
vivre : mais qu'il a de soy le bien vivre. Conformément à

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