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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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cet
autre,
In virtute veeè gloriamur : quod non contingeret,
si id donum a Deo non a nobis haberemus
. Cecy est aussi de
Seneca : Que le sage a la fortitude pareille à Dieu :
mais en l'humaine foiblesse, par où il le surmonte. Il n'est rien
si ordinaire que de rencontrer des traicts de pareille
temerité : Il n'y a aucun de nous qui s'offence tant de se
voir apparier à Dieu, comme il fait de se voir deprimer au rang des
autres animaux : tant nous sommes plus jaloux de nostre
interest, que de celuy de nostre createur.
    Mais il faut mettre aux pieds ceste sotte vanité, et secouër
vivement et hardiment les fondemens ridicules, sur quoy ces fausses
opinions se bastissent. Tant qu'il pensera avoir quelque moyen et
quelque force de soy, jamais l'homme ne recognoistra ce qu'il doit
à son maistre : il fera tousjours de ses oeufs poulles, comme
on dit : il le faut mettre en chemise.
    Voyons quelque notable exemple de l'effect de sa
philosophie.
    Possidonius estant pressé d'une si douloureuse maladie, qu'elle
luy faisoit tordre les bras, et grincer les dents, pensoit bien
faire la figue à la douleur pour s'escrier contre elle : Tu as
beau faire, si ne diray-je pas que tu sois mal. Il sent mesmes
passions que mon laquays, mais il se brave sur ce qu'il contient
aumoins sa langue sous les loix de sa secte.
    Re succumbere non oportebat
verbis gloriantem.
    Archesilas estant malade de la goutte, Carneades qui le vint
visiter, s'en retournoit tout fasché : il le rappella, et luy
montrant ses pieds et sa poittrine : Il n'est rien venu de là
icy, luy dit-il. Cestuy cy a un peu meilleure grace : car il
sent avoir du mal, et en voudroit estre depestré. Mais de ce mal
pourtant son coeur n'en est pas abbatu et affoibly. L'autre se
tient en sa roideur, plus, ce crains-je, verbale qu'essentielle. Et
Dionysius Heracleotes affligé d'une cuison vehemente des yeux, fut
rangé à quitter ces resolutions Stoïques.
    Mais quand la science feroit par effect ce qu'ils disent,
démousser et rabatre l'aigreur des infortunes qui nous suyvent, que
fait elle, que ce que fait beaucoup plus purement l'ignorance et
plus evidemment ? Le philosophe Pyrrho courant en mer le
hazard d'une grande tourmente, ne presentoit à ceux qui estoyent
avec luy à imiter que la securité d'un porceau, qui voyageoit
avecques eux, regardant ceste tempeste sans effroy. La philosophie
au bout de ses precéptes nous renvoye aux exemples d'un athlete et
d'un muletier : ausquels on void ordinairement beaucoup moins
de ressentiment de mort, de douleurs, et d'autres inconveniens, et
plus de fermeté, que la science n'en fournit onques à aucun, qui
n'y fust nay et preparé de soy-mesmes par habitude naturelle. Qui
fait qu'on incise et taille les tendres membres d'un enfant et ceux
d'un cheval plus aisément que les nostres, si ce n'est l'ignorance.
Combien en a rendu de malades la seule force de
l'imagination ? Nous en voyons ordinairement se faire saigner,
purger, et medeciner pour guerir des maux qu'ils ne sentent qu'en
leur discours. Lors que les vrais maux nous faillent, la science
nous preste les siens : ceste couleur et ce teint, vous
presagent quelque defluxion caterreuse : ceste saison chaude
vous menasse d'une émotion fievreuse : ceste coupeure de la
ligne vitale de vostre main gauche, vous advertit de quelque
notable et voisine indisposition : Et en fin elle s'en
addresse tout detroussément à la santé mesme : Ceste
allegresse et vigueur de jeunesse, ne peut arrester en une assiete,
il luy faut desrober du sang et de la force, de peur qu'elle ne se
tourne contre vous mesmes. Comparés la vie d'un homme asservy à
telles imaginations, à celle d'un laboureur, se laissant aller
apres son appetit naturel, mesurant les choses au seul sentiment
present, sans science et sans prognostique, qui n'a du mal que lors
qu'il l'a : où l'autre a souvent la pierre en l'ame avant
qu'il l'ait aux reins : comme s'il n'estoit point assez à
temps pour souffrir le mal lors qu'il y sera, il l'anticipe par
fantasie, et luy court au devant.
    Ce que je dy de la medecine, se peut tirer par exemple
generalement à toute science : De là est venuë ceste ancienne
opinion des philosophes, qui logeoient le souverain bien à la
recognoissance de la foiblesse de nostre jugement. Mon ignorance me
preste autant d'occasion d'esperance que de crainte : et
n'ayant autre regle de ma santé, que celle des exemples d'autruy,
et des evenemens que je vois ailleurs en pareille

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