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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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mesure, à une
puissance si desmesuree. Si est-ce que c'est envers ceux-mesmes qui
sont de moins excellente nature, une singuliere incitation à la
vertu, d'estre logé en tel lieu, où vous ne faciez aucun bien, qui
ne soit mis en registre et en compte : Et où le moindre bien
faire, porte sur tant de gens : Et où vostre suffisance, comme
celle des prescheurs, s'adresse principallement au peuple, juge peu
exacte, facile à piper, facile à contenter. Il est peu de choses,
ausquelles nous puissions donner le jugement syncere, par ce qu'il
en est peu, ausquelles en quelque façon nous n'ayons particulier
interest. La superiorité et inferiorité, la maistrise et la
subjection, sont obligees à une naturelle envie et
contestation : il faut qu'elles s'entrepillent
perpetuellement. Je ne crois ny l'une ny l'autre, des droicts de sa
compagne : laissons en dire à la raison, qui est inflexible et
impassible, quand nous en pourrons finer. Je feuilletois il n'y a
pas un mois, deux livres Escossois, se combattans sur ce subject.
Le populaire rend le Roy de pire condition qu'un charretier, le
monarchique le loge quelques brasses au dessus de Dieu, en
puissance et souveraineté.
    Or l'incommodité de la grandeur, que j'ay pris icy à remerquer,
par quelque occasion qui vient de m'en advertir, est cette-cy. Il
n'est à l'avanture rien plus plaisant au commerce des hommes, que
les Essays que nous faisons les uns contre les autres, par jalousie
d'honneur et de valeur, soit aux exercices du corps ou de
l'esprit : ausquels la grandeur souveraine n'a aucune vraye
part. A la verité il m'a semblé souvent, qu'à force de respect, on
y traicte les Princes desdaigneusement et injurieusement. Car ce
dequoy je m'offençois infiniement en mon enfance, que ceux qui
s'exerçoient avec moy, espargnassent de s'y employer à bon escient,
pour me trouver indigne contre qui ils s'efforçassent : c'est
ce qu'on voit leur advenir tous les jours, chacun se trouvant
indigne de s'efforcer contre eux. Si on recognoist qu'ils ayent
tant soit peu d'affection à la victoire, il n'est celuy, qui ne se
travaille à la leur prester : et qui n'ayme mieux trahir sa
gloire, que d'offenser la leur : On n'y employe qu'autant
d'effort qu'il en faut pour servir à leur honneur. Quelle part ont
ils à la meslee, en laquelle chacun est pour eux ? Il me
semble voir ces paladins du temps passé, se presentans aux joustes
et aux combats, avec des corps, et des armes faëes. Brisson courant
contre Alexandre, se feignit en la course : Alexandre l'en
tança : mais il luy en devoit faire donner le foüet. Pour
cette consideration, Carneades disoit, que les enfans des Princes
n'apprennent rien à droict qu'à manier des chevaux : d'autant
qu'en tout autre exercice, chacun fleschit soubs eux, et leur donne
gaigné : mais un cheval qui n'est ny flateur ny courtisan,
verse le fils du Roy par terre, comme il feroit le fils d'un
crocheteur. Homere a esté contrainct de consentir que Venus fut
blessee au combat de Troye, une si douce saincte et si delicate,
pour luy donner du courage et de la hardiesse, qualitez qui ne
tombent aucunement en ceux qui sont exempts de danger. On fait
courroucer, craindre, fuyr les Dieux, s'enjalouser, se douloir, et
se passionner, pour les honorer des vertus qui se bastissent entre
nous, de ces imperfections.
    Qui ne participe au hazard et difficulté, ne peut pretendre
interest à l'honneur et plaisir qui suit les actions hazardeuses.
C'est pitié de pouvoir tant, qu'il advienne que toutes choses vous
cedent. Vostre fortune rejette trop loing de vous la societé et la
compagnie, elle vous plante trop à l'escart. Cette aysance et
lasche facilité, de faire tout baisser soubs soy, est ennemye de
toute sorte de plaisir. C'est glisser cela, ce n'est pas
aller : c'est dormir, ce n'est pas vivre. Concevez l'homme
accompagné d'omnipotence, vous l'abysmez : il faut qu'il vous
demande par aumosne, de l'empeschement et de la resistance. Son
estre et son bien est en indigence.
    Leurs bonnes qualitez sont mortes et perdues : car elles ne
se sentent que par comparaison, et on les en met hors : ils
ont peu de cognoissance de la vraye loüange, estans batus d'une si
continuelle approbation et uniforme. Ont ils affaire au plus sot de
leurs subjects ? ils n'ont aucun moyen de prendre advantage
sur luy : en disant, C'est pour ce qu'il est mon Roy, il luy
semble avoir assez dict, qu'il a presté la main à se laisser
vaincre. Cette qualité

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