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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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son
ceremonieux des parolles. J'ayme une societé, et familiarité forte,
et virile : Une amitié, qui se flatte en l'aspreté et vigueur
de son commerce : comme l'amour, és morsures et esgratigneures
sanglantes.
    Elle n'est pas assez vigoureuse et genereuse, si elle n'est
querelleuse : Si elle est civilisee et artiste : Si elle
craint le heurt, et a ses allures contreintes.
    Neque enim disputari sine reprehensione
potest
.
    Quand on me contrarie, on esveille mon attention, non pas ma
cholere : je m'avance vers celuy qui me contredit, qui
m'instruit. La cause de la verité, devroit estre la cause commune à
l'un et à l'autre : Que respondra-il ? la passion du
courroux luy a desja frappé le jugement : le trouble s'en est
saisi, avant la raison. Il seroit utile, qu'on passast par gageure,
la decision de nos disputes : qu'il y eust une marque
materielle de nos pertes : affin que nous en tinssions estat,
et que mon valet me peust dire : Il vous cousta l'annee passee
cent escus, à vingt fois, d'avoir esté ignorant et opiniastre.
    Je festoye et caresse la verité en quelque main que je la
trouve, et m'y rends alaigrement, et luy tends mes armes vaincues,
de loing que je la vois approcher. Et pourveu qu'on n'y procede
d'une troigne trop imperieusement magistrale, je prens plaisir à
estre reprins. Et m'accommode aux accusateurs, souvent plus, par
raison de civilité, que par raison d'amendement : aymant à
gratifier et à nourrir la liberté de m'advertir, par la facilité de
ceder. Toutesfois il est malaisé d'y attirer les hommes de mon
temps. Ils n'ont pas le courage de corriger, par ce qu'ils n'ont
pas le courage de souffrir à l'estre : Et parlent tousjours
avec dissimulation, en presence les uns des autres. Je prens si
grand plaisir d'estre jugé et cogneu, qu'il m'est comme
indifferent, en quelle des deux formes je le soys. Mon imagination
se contredit elle mesme si souvent, et condamne, que ce m'est tout
un, qu'un autre le face : veu principalement que je ne donne à
sa reprehension, que l'authorité que je veux. Mais je romps paille
avec celuy, qui se tient si haut à la main : comme j'en cognoy
quelqu'un, qui plaint son advertissement, s'il n'en est creu :
et prend à injure, si on estrive à le suivre. Ce que Socrates
recueilloit tousjours riant, les contradictions, qu'on opposoit à
son discours, on pourroit dire, que sa force en estoit cause :
et que l'avantage ayant à tomber certainement de son costé, il les
acceptoit, comme matiere de nouvelle victoire. Toutesfois nous
voyons au rebours, qu'il n'est rien, qui nous y rende le sentiment
si delicat, que l'opinion de la préeminence, et desdaing de
l'adversaire. Et que par raison, c'est au foible plustost,
d'accepter de bon gré les oppositions qui le redressent et
rabillent. Je cherche à la verité plus la frequentation de ceux qui
me gourment, que de ceux qui me craignent. C'est un plaisir fade et
nuisible, d'avoir affaire à gens qui nous admirent et facent place.
Anthistenes commanda à ses enfans, de ne sçavoir jamais gré ny
grace, à homme qui les louast. Je me sens bien plus fier, de la
victoire que je gaigne sur moy, quand en l'ardeur mesme du combat,
je me faits plier soubs la force de la raison de mon
adversaire : que je ne me sens gré, de la victoire que je
gaigne sur luy, par sa foiblesse.
    En fin, je reçois et advoue toute sorte d'atteinctes qui sont de
droict fil, pour foibles qu'elles soient : mais je suis par
trop impatient, de celles qui se donnent sans forme. Il me chaut
peu de la matiere, et me sont les opinions unes, et la victoire du
subject à peu pres indiffente. Tout un jour je contesteray
paisiblement, si la conduicte du debat se suit avec ordre. Ce n'est
pas tant la force et la subtilité, que je demande, comme l'ordre.
L'ordre qui se voit tous les jours, aux altercations des bergers et
des enfants de boutique : jamais entre nous. S'ils se
detraquent, c'est en incivilité : si faisons nous bien. Mais
leur tumulte et impatience, ne les devoye pas de leur theme. Leur
propos suit son cours. S'ils previennent l'un l'autre, s'ils ne
s'attendent pas, aumoins ils s'entendent. On respond tousjours trop
bien pour moy, si on respond à ce que je dits. Mais quand la
dispute est trouble et des-reglee, je quitte la chose, et m'attache
à la forme, avec despit et indiscretion : et me jette à une
façon de debattre, testue, malicieuse, et imperieuse, dequoy j'ay à
rougir apres.
    Il est impossible de traitter de bonne

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