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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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estouffe. et consomme les autres qualitez
vrayes et essentielles : elles sont enfoncees dans la
Royauté : et ne leur laisse à eux faire valoir, que les
actions qui la touchent directement, et qui luy servent : les
offices de leur charge. C'est tant estre Roy, qu'il n'est que par
là. Cette lueur estrangere qui l'environne, le cache, et nous le
desrobe : nostre veuë s'y rompt et s'y dissipe, estant remplie
et arrestee par cette forte lumiere. Le Senat ordonna le prix
d'eloquence à Tybere : il le refusa, n'estimant pas que d'un
jugement si peu libre, quand bien il eust esté veritable, il s'en
peust ressentir.
    Comme on leur cede tous avantages d'honneur, aussi conforte lon
et auctorise les deffauts et vices qu'ils ont : non seulement
par approbation, mais aussi par imitation. Chacun des suivans
d'Alexandre portoit comme luy, la teste à costé. Et les flateurs de
Dionisius, s'entrehurtoient en sa presence, poussoyent et versoient
ce qui se rencontroit à leurs pieds, pour dire qu'ils avoient la
veuë aussi courte que luy. Les greveures ont aussi par fois servy
de reommandation et faveur. J'en ay veu la surdité en
affectation : Et par ce que le maistre hayssoit sa femme,
Plutarque a veu les courtisans repudier les leurs, qu'ils,
aymoyent. Qui plus est, la paillardise s'en est veuë en credit, et
toute dissolution : comme aussi la desloyauté, les blasphemes,
la cruauté : comme l'heresie, comme la superstition,
l'irreligion, la mollesse, et pis si pis il y a : Par un
exemple encores plus dangereux, que celuy des flateurs de
Mithridates, qui d'autant que leur maistre pretendoit à l'honneur
de bon medecin, luy portoient à inciser et cauteriser leurs
membres : Car ces autres souffrent cauteriser leur ame, partie
plus delicate et plus noble.
    Mais pour achever par où j'ay commencé : Adrian l'Empereur
debatant avec le Philosophe Favorinus de l'interpretation de
quelque mot : Favorinus luy en quitta bien tost la victoire,
ses amys se plaignans à luy : Vous vous moquez, fit-il,
voudriez vous qu'il ne fust pas plus sçavant que moy, luy qui
commande à trente legions ? Auguste escrivit des vers contre
Asinius Pollio : Et moy, dit Pollio, je me tais : ce
n'est pas sagesse d'escrire à l'envy de celuy, qui peut
proscrire : Et avoient raison. Car Dionysius pour ne pouvoir
esgaller Philoxenus en la poësie, et Platon en discours : en
condamna l'un aux carrieres, et envoya vendre l'autre esclave en
l'isle d'Ægine.

Chapitre 8 De l'art de conferer
    C'EST un usage de nostre justice, d'en condamner aucuns, pour
l'advertissement des autres.
    De les condamner, par ce qu'ils ont failly, ce seroit bestise,
comme dit Platon : Car ce qui est faict, ne se peut
deffaire : mais c'est afin qu'ils ne faillent plus de mesmes,
ou qu'on fuye l'exemple de leur faute.
    On ne corrige pas celuy qu'on pend, on corrige les autres par
luy. Je fais de mesmes. Mes erreurs sont tantost naturelles et
incorrigibles et irremediables : Mais ce que les honnestes
hommes profitent au public en se faisant imiter, je le profiteray à
l'avanture à me faire eviter.
    Nonne vides Albi ut malè vivat filius,
utque
Barrus inops ? magnum documentum, ne patriam rem
Perdere quis velit
.
    Publiant et accusant mes imperfections, quelqu'un apprendra de
les craindre. Les parties que j'estime le plus en moy, tirent plus
d'honneur de m'accuser, que de me recommander. Voylà pourquoy j'y
retombe, et m'y arreste plus souvent. Mais quand tout est compté,
on ne parle jamais de soy, sans perte : Les propres
condemnations sont tousjours accreuës, les louanges mescruës.
    Il en peut estre aucuns de ma complexion, qui m'instruis mieux
par contrarieté que par similitude : et par fuite que par
suite. A cette sorte de discipline regardoit le vieux Caton, quand
il dict, que les sages ont plus à apprendre des fols, que les fols
des sages : Et cet ancien joueur de lyre, que Pausanias
recite, avoir accoustumé contraindre ses disciples d'aller ouyr un
mauvais sonneur, qui logeoit vis à vis de luy : où ils
apprinssent à hayr ses desaccords et fauces mesures. L'horreur de
la cruauté me rejecte plus avant en la clemence qu'aucun patron de
clemence ne me sçauroit attirer. Un bon escuyer ne redresse pas
tant mon assiete, comme fait un procureur, ou un Venitien à
cheval : Et une mauvaise façon de langage, reforme mieux la
mienne, que ne fait la bonne. Tous les jours la sotte contenance
d'un autre, m'advertit et m'advise. Ce qui poinct, touche

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