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Les fiancés de Venise

Les fiancés de Venise

Titel: Les fiancés de Venise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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décor d’opéra s’élevait sur des rochers au bord de l’eau. Du fait des gouttes de pluie sur les vitres du landau, les contours du bâtiment se confondaient avec le ciel et la mer. Sans doute, pensa le commissaire, cette symbiose expliquait-elle le choix d’un tel endroit par le navigateur passionné qu’était Maximilien. Quand on regardait les flots de l’intérieur du château, on devait se croire sur la passerelle de commandement d’un navire.
    La voiture s’arrêta dans la cour d’honneur, elle aussi couverte de graviers. Un homme d’une politesse exquise accueillit le commissaire, frappé non seulement par son gilet pourpre et sa chaîne de montre en or sous une redingote noire tout à fait classique, mais aussi par le fait qu’il ne portait pas l’uniforme alors qu’il s’était présenté sous le nom de « lieutenant de vaisseau von Beust ». Ils gravirent l’escalier en marbre menant au salon du premier étage où le militaire pria Tron de bien vouloir attendre l’archiduc.
    En dépit d’un vieux lustre de Murano – un de ces chefs-d’œuvre qui valaient une fortune –, la pièce immense était plongée dans la pénombre car les rideaux à moitié fermés retenaient l’essentiel du jour blafard. Malgré tout, on pouvait reconnaître près de la fenêtre, sur une commode-bateau anglaise, un énorme astrolabe et, sur le mur au-dessus, une carte du Mexique aux régions barrées soit de rouge, soit de vert. Le commissaire se rappela que les troupes françaises n’avaient toujours pas le contrôle de toutes les provinces et que l’affrontement décisif avec Benito Juárez attendait Maximilien.
    De l’autre côté de la pièce, un divan de style Premier Empire et deux antiques fauteuils recouverts de tapisserie encerclaient une cheminée en marbre rougeâtre, surmontée du portrait d’une jeune femme au regard sévère. Tron supposa qu’il s’agissait de l’archiduchesse.
    Quelques minutes plus tard, il entendit des pas dans la pièce voisine. Puis il vit la poignée se baisser. Maximilien, à qui des mains invisibles avaient ouvert la porte, pénétra dans le salon. Le commissaire ne s’était pas attendu à un homme aussi grand et aussi mince. Le maître de maison portait, comme c’était la mode, des favoris qui dégageaient le pourtour de sa bouche et faisaient ressortir le menton en galoche des Habsbourg. Pour se donner une contenance, il levait la tête et se tenait très droit – apparemment non sans mal d’ailleurs. Ces efforts ne parvenaient pourtant pas à faire oublier sa démarche nonchalante, légèrement chaloupée, ni son regard instable, un roulement nerveux des yeux qui semblait devenu une habitude.
    L’archiduc était vêtu d’un tricot bordeaux dont il avait relevé le col épais, mais qui laissait voir un gilet en piqué de coton et un foulard noué autour du cou. Il portait de confortables pantoufles en velours vert, ornées des armoiries royales brodées au fil d’or. Cette tenue décontractée, devina son hôte, était censée mettre en évidence le caractère privé de leur entretien. Sans doute allait-il aussi l’appeler par son titre et non par son grade. À vrai dire, le sourire obligeant qu’il affichait ne correspondait pas à l’image d’un individu ayant fait assassiner sa maîtresse par son secrétaire particulier.
    — Vous savez pourquoi je vous ai prié de venir, comte ? commença-t-il d’une voix grave et gutturale.
    Le commissaire avait pensé que Maximilien s’adresserait à lui en allemand, mais à sa grande surprise, il parlait couramment l’italien, avec une pointe d’accent vénitien.
    Bien sûr, songea-t-il. L’archiduc l’avait convoqué pour lui proposer un odieux marché. Et il paraissait décidé à ne pas perdre de temps. Tron s’inclina.
    — Je crois, Altesse.
    Maximilien s’assit sur un des fauteuils en tapisserie et, d’un geste, invita son hôte à l’imiter.
    — Mon secrétaire particulier, reprit-il, m’a informé qu’on l’avait vu sur le rio della Verona dans la nuit du crime.
    Il croisa les jambes et s’appuya contre le dossier en roulant des yeux avec nervosité.
    — Je déplore qu’un de mes employés rencontre des problèmes pour avoir exécuté mes ordres.
    — Schertzenlechner exécutait vos ordres ?
    Au fond, Tron en était convaincu. Pourtant, il souhaitait se le faire répéter.
    L’archiduc, de son côté, fronça les sourcils, comme s’il ne comprenait pas la question. Il

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