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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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lui paraissait excessif. Dieu avait-il voulu qu’on l’aimât de la sorte ? Tous ces autels devaient se concurrencer l’un l’autre et l’émulation des fidèles n’avait pour résultat que d’égarer leurs prières, leurs contritions, leurs confessions, d’autant plus aisément que la cité, à ce qu’on en disait, comptait des mahomeries et des synagogues où l’on implorait Allah et Jéhovah… Quelle cohue de mots dans ce ciel qui ne ressemblait à aucun autre : un azur profond et léger à la fois, hiératique, où les oiseaux semblaient ne point s’aventurer.
    –  As-tu vécu ici, Serrano ? demanda Paindorge.
    –  J’y suis venu deux fois dix jours.
    –  Chanter pour le roi Pèdre ?
    –  Ce n’est pas parce qu’on chante devant un tyran qu’il convient d’exalter sa gloire ; ce n’est pas parce qu’on s’incline devant lui, une guiterne au poing, qu’on lui appartient corps et âme. J’ai trop ouï, lors de mes séjours, des cris de souffrance et des implorations pour vouloir vivre à Toledo… Je suis allé chanter dans les petites villes, les ventas , les posadas, les bodegôns… tous les lieux où l’on a faim de bonheur plus que de bon pain, où l’espérance dépérit et où l’on boit un vin qui a l’aigreur des larmes… Pour remède au mal-vivre de ces gens, j’ai chanté les amours du Cid et de Chimène au lieu que les bienfaits 20 de Pedro le Cruel.
    Une autre porte qui peut-être avait été bâtie par les Mahoms.
    –  Je te crois, Serrano, dit Paindorge. Ces amours, il te faudra nous les chanter. Je te raconterai, moi, Tristan et Yseult.
    Nul ne rit de cette promesse, bien que Paindorge l’eût assortie aussitôt d’un avertissement à vrai dire inutile :
    –  Pas notre Tristan, un autre.
    Le Tristan qui entrait maintenant dans Tolède au lieu de celui qui fréquentait Camelot, se demanda ce que faisait son épouse à cet instant même, si elle pensait à lui avec autant d’insistance qu’il pensait à elle et se désespérait de le revoir un jour. Cessant de regarder la frange crénelée des murailles dont la base, à l’intérieur, était aussi malpropre qu’à l’extérieur malgré les herbes sèches et grasses et les ronceraies qui parfois étouffaient dans leurs plis les ordures, il retint mal un sanglot de rage, de lassitude et d’affliction. Si loin de Castelreng et si loin de Gratot !… Perdu dans cette Espagne immense et versatile, car on pouvait s’y perdre à plusieurs, corps et âme. Et pourquoi ? Il ne se sentait ni à l’aise ni à l’abri. Ni sans doute aucun de ses hommes. Ni Simon et Teresa qu’il n’osait rassurer d’un mot ou d’un clin d’œil.
    Au tournant d’une voie montante, étroite et cailloutée, ils aperçurent l’énorme pêle-mêle gris-rose, bossué, dentelé, qui couvrait la butte, ses recoins et enfoncements, et composait le véritable seuil de la cité. Tout était envahi par la pierre et la brique, et sauf la ruelle où les chevaux devaient aller à la suite, le sol disparaissait sous cette végétation minérale qui allait grossissant jusqu’on ne savait où. La foule, elle aussi, grossissait, lançait ses cris, parfois ses vociférations entre deux ressacs d’un bourdonnement confus, les fracas des jantes ferrées et les crépitements des sabots des chevaux. Il y avait, dans les mouvements de ces gens, plus de précipitation que d’inquiétude. Accoutumés aux sautes d’humeur d’un roi inconstant et pervers, ils ne vivaient que le présent.
    –  Pied à terre tous… sauf Simon et Teresa.
    Tristan s’était attendu à découvrir une cité hautaine, murée en quelque sorte dans des douleurs anciennes et des frayeurs ré centes ; une cité précautionnée contre quelque vengeance ou tuerie sans objet. Il n’en croyait pas ses yeux. Ici, sur une placette, une surprenante assemblée de femmes moresques enveloppées de robes farouchement colorées, embronchées de voiles lamés d’or, fouillaient dans les monceaux d’étoffes que leur présentait un marchand criard, enturbanné de blanc, et qui parfois remuait une clochette de cuivre afin d’obtenir le silence. Deux cavaliers tête nue, protégés d’une cuirassine, s’approchèrent, curieux, sans que quiconque ne les craignît. Plus loin, dix ou douze Juifs et Juives, dans des habits de fête, les hommes en noir, certains l’épée au côté, les femmes et les jouvencelles plus colorées que des vitraux, suivaient vers quelque

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