Les fils de Bélial
espadero ? demandait çà et là Serrano.
– Per aqui…
Ils entrèrent dans un quartier revêche, proche d’une cathédrale en construction dont aucun d’eux ne se soucia tant ils avaient hâte d’échapper aux bruits et à l’agitation.
« Et si cet homme ne consent pas à nous aider ? » supposa Tristan qu’Alcazar poussait de la tête.
Eh bien, il aviserait. Ils quitteraient la ville et trouveraient une grange où passer la nuit.
Il entendit des tintements de marteaux et vit bientôt des officines où, dans des lueurs de fourneaux éventés à grands souffles, des hommes frappaient des fers posés sur des enclumes ou des formes imprécises.
– Le quartier des armeros, dit Serrano.
Ici, la foule se raréfiait. On eût pu croire que tous ces martellements l’effrayaient autant que les vulcains aux tabliers de cuir. Tristan et ses compagnons longèrent un mur au-dessus duquel un figuier passait sa tête entre deux gerbes de passe-roses. Derrière, rien ne retentissait. Une porte s’ouvrait sur un jardinet entouré de colonnades.
– Demandons, dit Paindorge en foulant une mosaïque des plus fines.
– Holà ! cria Lebaudy sur le seuil, y a-t-il quelqu’un céans ?
Un vieillard apparut, bossu et hanche bote.
– Buenas tardes, signor, dit-il à Paindorge.
– Habla francés ?
– Un peu, dit le vieillard.
Le mot francés n’avait pas eu sur ce serviteur vêtu de noir l’effet pervers auquel Tristan s’attendait.
– Que voulez-vous ? demanda-t-il.
– Nous cherchons un armurier du nom de Pedro del Valle, dit Tristan sans s’approcher.
– C’est sa maison.
Un chien aboya, noir, poilu, et vint flairer les jambes de Paindorge.
– Tranquilo, Golfo, dit un homme sorti de l’ombre.
Le chien s’éloigna de bon ou mauvais gré.
– Je suis Pedro del Valle. Que voulez-vous, messires ?
Le factotum allait s’éloigner en clopinant quand l’armurier le retint d’un geste :
– No, Juan… Qui vous a envoyés, messires, jusqu’ici ?
– Un chevalier français du nom d’Ogier d’Argouges.
Le visage glabre, soucieux, de l’armurier s’éclaira.
C’était une satisfaction intense qui, maintenant, animait ses traits secs et austères.
– Est-il avec vous ?
– Hélas ! Messire. Il est mort à Briviesca, occis par un homme des Compagnies auquel j’ai fait justice… Il voulait tellement vous revoir !
La voix de Tristan se brisa. L’armurier redevint tout à coup soupçonneux : il savait à quels excès s’étaient livrés les alliés du Trastamare dans une cité que peut-être il connaissait. Tristan le rassura du mieux qu’il le pouvait :
– Ogier d’Argouges, messire, était mon beau-père. J’ai épousé sa fille Luciane. Il nous a moult entretenus de vous, de votre séjour à Rechignac et de votre épouse, Claresme, sa cousine.
Ces quelques mots valaient un sauf-conduit. Tristan se sentit serré dans une étreinte vigoureuse :
– Soyez les bienvenus !… Juan, va ouvrir la grande porte et fais de la place à l’écurie… Entrez, messires, et vous me direz tout.
– Avant, dit Eudes en désignant le bossu, il nous faut aider cet homme.
Les frères Lemosquet et Petiton l’approuvèrent. Et comme le regard de Tristan effleurait les difformités du domestique, Pedro del Valle se pencha pour que celui-ci ne l’entendît pas :
– Il a passé sept ans dans une geôle : il ne s’était pas arrêté pour s’incliner sur le passage du roi Pèdre après qu’il eut fait mourir la reine Blanche.
– Maintenant que ce despote est parti à vau-vent, vous attendez la venue d’Enrique…
L’armurier eut un geste. On eût dit qu’il chassait une mouche importune. Puis d’une voix tout ensemble souple et brève :
– Sans vouloir vous offenser, messire, il n’y a pas plus de différence entre Pèdre et Henri qu’entre deux lances de guerre ou de joute. Quand on sait quels sont les hommes qu’Enrique a choisis pour l’aider à conquérir un trône qui ne lui revient pas, on peut douter de la justice et de l’équité d’une majesté pareille ! Il ne sera jamais qu’un usurpateur… Quel dommage qu’Ogier soit mort et qu’il ait servi, comme vous, une aussi mauvaise cause… Mais je devine que vous y avez été contraints, vous et vos gens…
– Vous dites vrai, messire. Nous avons une mission à accomplir pour laquelle j’ai donné ma parole, ensuite de laquelle nous reviendrons
Weitere Kostenlose Bücher