Les fils de Bélial
sentit se déployer en lui une férocité dont il enragea qu’elle fût inutile.
Il redescendit en frissonnant, évitant de glisser sur les degrés et de ne point souiller ses vêtements au contact des murs. Eût-il vu une miette de sang sur sa peau qu’il eût hurlé d’horreur et d’indignation.
Dehors, il frotta longuement ses semelles sur le sol, dans la poussière, dans l’herbe, et s’aperçut que ses jambes le portaient à peine. Il se hâta vers son cheval et s’accrocha au pommeau et au troussequin de la selle. Il demeura ainsi un long moment, le front contre le cuir tiède et rude, les yeux clos, grognant et grommelant comme une bête blessée.
– Ah ! Messire, s’indigna Paindorge qui venait de raconter aux autres ce qu’il avait vu. Fallait-il que nous venions de si loin pour voir de telles abjections ?
– Ceux qui les ont perpétrées, Robert, ont commis les mêmes dans notre royaume. Ne l’oublie pas. Et n’oublie pas que le Pape les a bénis !
Tristan secoua sa tête pleine d’images épouvantables au-dessus desquelles se détachait le visage de la pucelle. Il frémit en lui substituant Teresa qu’il n’osait regarder : quelles que fussent l’horreur et la pitié qui l’agitaient, il se devait de les lui dissimuler. Serrano accomplissait désespérément cet effort, mais sa lividité trahissait sa détresse.
– Il faut partir, messire, dit Paindorge.
Oui, partir. Aller à l’aventure. Peut-être aller au-devant d’autres sangs, d’autres tueries. Qui avait fait cela ? Qui pouvait se livrer à de tels crimes ? Chaque jour qui passait semblait accroître, chez certains, cette volupté de mort abominable. Na guère, lui, Tristan, s’était mêlé aux êtres avec une soif de sortir de lui-même, de prendre sa part de vie, de bonheur avec eux. Le bonheur existait-il ? Pourquoi se sentait-il seul, maintenant, parmi ses compagnons ? « Les venger ! » Mais comment ? Était-ce son rôle ?
Il tapota son épée. Il avait besoin de la sentir présente. Neuve. Capable de l’aider. Capable d’occire. Capable d’empoisonner. Capable, elle aussi, de cruautés. Il vit que Paindorge avait sa Floberge à la hanche et n’en ressentit aucun dépit.
– Messire, il faut partir, dit soudain Teresa. J’ai peur…
Pâle, figée sur son genet immobile, elle imaginait tout, elle aussi, et luttait contre un vertige funèbre. On eût dit qu’elle sentait, avec une irrésistible et foudroyante évidence, que son existence avait la fragilité de ces feuilles mortes où le vent lui-même ne se hasardait pas. Et parce qu’elle pensait à la mort et se sentait plus forte que Simon pour l’affronter, elle sourit à son frère au visage enfoui dans le dos de Petiton mais qui venait de la questionner d’un regard.
– Mucho ânimo, Simon.
Elle avait du courage pour deux.
– Qui ? demanda-t-elle ensuite.
– Comment le saurais-je ? répondit Tristan qui croyait savoir et se taisait dans l’attente d’une confirmation.
– Enrique es una mierda ! lança Simon plus que jamais cramponné à Petiton dont il avait fait son ami et confident. Muy poco tiempo aqui !
– Qu’est-ce qu’il dit ? demanda Lebaudy.
– Que nous devons rester très peu de temps ici, dit Teresa.
– Il a raison, dit Yvain Lemosquet. Partons, messire. Tout est mort en ce lieu. Trouvons cet Alarcôn où nous serons à l’aise.
– Je vois un abreuvoir là-bas, dit Eudes, le bras tendu.
Sous une mince couche de cendre que les frères Lemosquet s’employèrent à enlever, l’eau apparut, transparente. La mule et les chevaux burent un par un tandis qu’Eudes et Paindorge, qui s’étaient éloignés, revenaient avec une amphore de vin et deux gobelets. On but.
– Ce sont sûrement les Bretons, dit Paindorge.
– Quelles preuves pourrais-tu nous fournir que ce sont eux ?
– Ah ! Messire… Vous savez comment ils ont bretonné certains pays de France où nous sommes passés. Vous savez ce qu’il est advenu de Mantes et de Meulan… et d’autres cités du Beauvaisis… et à Briviesca !
Ils avancèrent. Ils savaient qu’ils devaient chevaucher vers l’est, presque droitement. Ils quittèrent les arbres noirs pour cheminer sous des frondaisons rousses, puis vertes. Les lointains étaient verts, eux aussi, striés de gris et de rouge.
– Ils ont dû faire une grosse flambe et jeter les morts sur ce bûcher.
– Non, Petiton. Les morts sont dans les
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