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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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répugnantes choses…
    Ils avancèrent.
    Bientôt, après la traversée du pré, les feuilles noires ou roussies des arbres étendirent un dôme de deuil au-dessus de leurs têtes. Peu de bruits troublaient les lieux : les frissements de quelques oiseaux brusquement envolés, le murmure du vent déplaçant un bout d’étoffe ou quelque fleur séchée, le craquement d’un chevron rongé par le feu et cédant peu à peu à la pression d’un débris de toiture. Des maisons avaient résisté : elles étaient debout, noires, béantes – comme inachevées dans le malheur. Pas une âme. Une sorte de paix charbonnée. On voyait çà et là des débris de faïence, des poteries cassées, des lits rongés avec leurs draps, des chiens morts et même une vache dont on avait découpé une cuisse. Voilà ce qui subsistait d’un bourg où la vie, sans être délicieuse, avait suivi un cours pacifique ; une vie simple, active et contemplative avec en son centre une église. Il n’en subsistait qu’un clocher noirâtre dont la campane avait chu sur un amas de poutres et de plâtres calcinés.
    –  Qui ? demanda Paindorge. Messire, il nous faut voir s’il reste des vivants.
    Il désignait une maison qui semblait n’avoir subi aucun dommage.
    Tristan mit pied à terre.
    Travaillée en quartiers de bois carrés et rectangulaires, la porte était percée d’un guichet à treillage. Avant de la pousser, penché contre les croisillons, Tristan vit un intérieur d’une simplicité extrême dont plus un meuble n’était debout. Les ustensiles de la cuisine et du ménage et deux belles lanternes tolédanes avaient été fracassés. Il hésita, trouvant cette vision de mauvais augure.
    –  Faut savoir, dit Paindorge en levant le loquet.
    Tristan suivit son écuyer.
    –  Qui ? demanda-t-il. Regarde, Robert : il y a du sang sur ce mur… et ces trous comme si on y avait crucifié quelqu’un. Et vois les marches de l’escalier… Pour qu’il y ait autant de sang, c’est que plusieurs victimes sont en haut… Non, ne montons pas : notre courroux augmenterait et il nous faut contenir notre répugnance…
    Ici, sans qu’aucun corps fût visible, tous les maux et perversités de la guerre semblaient réunis et lugubrement exaltés. Et cette paix de sang distillait d’autres malheurs.
    –  Moi, je monte… Il peut y avoir des vivants.
    Tristan se résigna, piétinant sang et sanie. Ils découvrirent trois portes closes et Paindorge poussa la première.
    La chambre avait l’aspect d’un gîte monacal, comme attesté par la présence d’un crucifix au-dessus de la tête d’un lit aux draps froissés, d’une couleur affreuse. Murs blancs tavelés de rouge. Sur le plancher gisaient six femmes nues, aux cheveux défaits, mortes, enchevêtrées. Leurs yeux exorbités exprimaient une terreur infinie. Le manche d’un couteau sortait du ventre de l’une d’elles. Trois autres avaient au cou une traînée rouge, béante. D’une autre on ne voyait que l’avers d’un corps splendide d’où sortait, d’entre les cuisses, la hampe d’un tisonnier. La dernière, une jeunette, ne portait aucune trace de blessure ni de coups orbes : il semblait qu’elle fut morte de peur en assistant au viol des autres.
    –  Seigneur ! dit l’écuyer, mains jointes, d’une voix pâle, rompue. Pourquoi acceptez-vous ces hideurs sans pareilles ?
    À ce moment Tristan aperçut Serrano debout dans le chambranle. Il était arrivé sans qu’on l’entendît. Son expression révélait que, dans les pièces voisines, il avait découvert d’autres victimes. Il semblait résister à l’envie de vomir. Il regardait ces corps et ces visages qui, pleins de vie, avaient dû susciter le désir, voire la passion. Seul un frémissement de sa bouche aux lèvres serrées révélait un émoi, une indignation, une impuissance.
    –  Les pauvresses, dit-il. Et ce sont de vos compagnons qui ont commis ces violences…
    Tristan l’approuva d’un cillement des paupières. Il se sentait incapable de dire un mot, d’accomplir un mouvement. Il regar da la jeune morte avec une attention tout à la fois farouche et effarée comme si, seul témoin intact de ces énormités, elle allait lui révéler quels en étaient les auteurs. « Intacte », avait-il songé. Non : elle ne l’était point : il suffisait d’abaisser son regard pour savoir que vierge, elle avait été souillée vivante et sans doute morte. Elle savait ce qu’il ne savait pas. Il

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