Les fils de Bélial
lui apparaissait sous les traits d’un séducteur occupé d’autres femmes. Des querelles naquirent de ces plaideries nocturnes entrecoupées de bacchanales outrageantes pour elle, Francisca.
Sa passion d’amante faussement trompée s’en trouvait aiguillonnée. Son ardeur charnelle, alors, suscitait et redemandait les « choses » qu’elle avait souventefois repoussées comme insanes. Elle semblait une haquenée dont il eût passé une main sur la croupe et qui se fût mise à ruer. Il suffisait alors de jeter l’étincelle pour qu’elle s’embrasât, les dents serrées, le corps largement ouvert.
Afin que la jeune femme ne fut point agressée par des Sévillans ou des Bretons jaloux de cette liaison alternativement agréable et fastidieuse, il allait chaque soir à la maison de danse où les évolutions de Francisca et de ses compagnes ne le passionnaient plus. Il la ramenait chez elle dépoitraillée, son bras ployé sur une de ses épaules, sa main en coupe sur un sein dardé. Ils mangeaient à peine quelques copas, quelques tapas arrosés d’un vin plus digeste que le manzanilla. Ils se couchaient. Francisca n’était jamais ce qu’il avait souhaité qu’elle fut. Il avait des désirs, elle des exigences. Dans l’ombre, remuant au-dessus ou au-dessous de lui, elle l’accablait de diminutifs amou reux dont le sens lu échappait : brujito, flaquecito, monilito, loquito et se mains fraîches traçaient sur son corps des signes qu’un kabbaliste seul eût su interpréter.
Il eût voulu se libérer de ces amarres. Il préférait attendre afin que cette rupture eût pour objet son départ de Séville. D’ailleurs, il advenait que Francisca fut telle qu’il l’avait souhaitée : docile et tout à coup dévergondée, paisible, vibrante comme une guiterne. Il ne savait rien d’elle sinon qu’elle gagnait sa vie chaque soir à Las Delicias. Parfois, dans la journée, elle l’entraînait, recrue d’amour, sur les murailles afin d’y respirer mieux. Leurs regards erraient sur ce qui subsistait du camp des routiers, puis s’attardaient sur ce qui composait celui des hommes d’armes du roi Henri : des centaines de trefs et d’aucubes et une cavalerie qui ne cessait de grossir.
– La guerre approche, m’amie.
Tristan voyait alors les noires prunelles de sa compagne se poser, pesantes et interrogatives, sur son visage.
– Tu brûles de partir, affirmait-elle avec une sorte de grincement dans la voix.
Elle le voulait corps et âme, nuit et jour, guettant la moindre pensée, le moindre désir de fuite. Ils revenaient chez elle. Était-elle gaie, allait-elle se montrer non seulement disponible mais entreprenante qu’elle chantait la même chanson pour exorciser le malheur :
Dos besos, tengo en el aima
Que no sé apartan de mi
El ùltimo de mi madré
Y el primero que te di (436) .
Il avait moins faim d’amour que d’aliments. Chaque midi, alors que Francisca dormait ou simulait le sommeil, il se félicitait d’aller partager le repas de ses hommes. Lebaudy cuisinait « à la française », intercalant parfois un puchero 135 et quelques cruches de pajarete 136 à l’ordinaire. Le soir, morose, il revenait à Las Delicias. Francisca saluait sa venue d’une courbette et dan sait hardiment, variant ses poses pour lui, donnant du pied fortement en avant comme pour conjurer les démons qui l’avaient assaillie dans sa solitude. Ils le savaient l’un et l’autre : leur passion se dégradait sans qu’ils pussent remédier à cette consomption de leurs âmes. Sans qu’ils le voulussent aussi. C’était moins un reste d’amour qu’un égoïsme forcené qui poussait Francisca à renouer constamment leurs attaches. Elle craignait, sans doute, d’être la risée de ses compagnes.
Un matin, devant l’Alcâzar, il rencontra Calveley.
– Nous partons pour de bon, annonça l’Anglais. Bagerant sera des nôtres.
Cette précision ne démonta pas Tristan : il s’y était attendu.
– Naudon va toujours où son intérêt le pousse. Qui part avec vous ?
– Briquet, Creswey, Robert Ceni, Pertucas d’Albret, Garcie du Châtel, les bourcs Camus, de Lesparre et de Breteuil. D’autres encore.
– Vous quittez Henri définitivement ?
– Nous l’allons quitter, en effet. Nous venons d’apprendre qu’il va sortir de Séville pour se porter dans le nord, contre Fernand de Castro, l’allié de Pèdre… qui sera bientôt notre allié 137 .
Tristan préféra ne
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