Les fils de Bélial
pâles
Seules savent garder l’amour.
Francisca était pâle, elle aussi, quand après avoir erré dans les rues, soutenue par un bras solide, elle alluma un reste de lumignon dans sa chambre.
– Je t’aime, Francés, dit-elle. Cierto ! Por cierto 134 ! Tristan, mi hombre !
Elle se mit nue sans hésiter puis s’allongea, couverte d’un drap, pudique et même encharbottée autant qu ’une nonnain qu’il eût contemplée au lit.
– J’ai froid, dit-elle.
Or, il faisait chaud. Séville suait par tous ses pores et ses citadins aussi. Il subissait désagréablement cette moiteur qui semblait émaner du Guadalquivir avec les dernières agitations des rues, des posadas et des bailes. La fièvre de la cité s’était infiltrée dans ses sens. Il avait envie de tout. Ce fut alors qu’en mots bien pesés, Francisca lui dit qu’il lui fallait un amour simple. Plus de ces délectations qui l’avaient enivrée tout en avivant son désir d’atteindre à la merveille de la joie et du plaisir. Les caresses hardies pouvaient offenser Dieu. Elle se sentait blessée de bonheur mais impudique comme une fille de joie. Elle redoutait qu’il la touchât de ses lèvres ainsi qu’il l’avait fait. Depuis, ses pensées n’étaient plus les mêmes. Sa nudité lui faisait peur. Ses seins la brûlaient dès qu’elle y touchait. Un feu qui sans doute était d’enfer la hantait si ardemment qu’il finirait par la convertir en flamme. Il la consumerait si elle osait des récidives.
Voulait-elle amoindrir ou ébiseler le désir qu’il avait d’elle, aussi puissant, aussi effréné que la première fois ? Pensait-elle vraiment s’être dévoyée ?
– Toi, dit-il, sentencieux, tu es allée à l’église. Tu t’y es confessée à un padre vicieux.
Il était si parfaitement dans son sujet, aux exacts confins de la chair et de l’esprit, qu’il avait trouvé, dans cette affirmation, l’expression parfaite et la révélation d’un conflit qu’il se refusait à examiner. Comme la plupart des femmes, Francisca était attirée par les blandices des hommes. Elle n’allait tout de même pas lui faire accroire qu’elle trouvait sa complète délectation dans une sorte de sainteté aussi vaine qu’hypocrite et dans les stériles triomphes de son esprit sur ses sens ! Il les avait exacerbés. Mieux qu’assouvis : glorifiés.
– Tu m’aimes moins, dit-il, que je ne le croyais. Moi, je t’aime profondément.
Elle avait commencé leur liaison par un lâcher de passions – une meute qu’elle ne commandait plus. Épouvantée par leur déploiement, leur dissipation et, surtout, leur variété, elle s’exaltait pour Dieu au lieu que ce fut pour son corps. L’exigence d’une purification lui paraissait nécessaire. Il lui fallait châtier une sensualité nouvelle dont la découverte et l’obsession n’étaient pas loin de l’horrifier. Elle préférait demeurer dans la plaine que d’atteindre les sommets où il eût aimé la mener.
– Je suis le Péché fait homme. L’instigateur de la débauche !
Il riait. Il la vit frémir. Soit : il l’avait touchée. Il n’implorerait pas son indulgence. Le trouble désagréable où ils s’étaient empêtrés occultait le brasier d’une passion commençante d’un rideau de voluptés qu’il n’écarterait jamais plus.
– Bon sang ! grommela-t-il à mi-voix, tes simagrées me gênent à présent d’être nu !… Tu danses tant l’amour qu’ensuite il te rebute.
Soufflant la chandelle, il se félicita que la lune fut indiscrète. Allongé, il sentit Francisca vaguement angoissée. Il eût pu l’étreindre simplement, rudement et sans plaisance – comme il eût accompli une besogne ingrate. Il y renonça.
« Où me suis-je fourré ? » songea-t-il avant de feindre le sommeil.
Il continua pourtant d’honorer sa danseuse. Il eût pu l’aimer, il la contentait sans se contenter lui-même. Il découvrit qu’elle était superstitieuse : elle craignait les fois de cruchons, de chopines, le passage d’un chat noir devant elle, la nuit. Elle se coupait les cheveux à l’époque de ses menstres pour les égaliser afin de rendre cette période favorable à ses desseins. Elle croyait dur comme fer aux avertissements contenus dans ses rêves et les lui racontait, où qu’ils fussent, l’accusant de l’aimer moins lorsqu’il laissait paraître son indifférence voire son agacement. Elle le titillait d’une rancune perverse lorsqu’il
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