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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Cependant, Serrano le retenait d’une main légère, mais ferme :
    –  Señor , messire… Vous la préjudicieriez devant tous ceux qui l’admirent si vous partiez maintenant. Elle vient de danser ce qu’on nomme un miracle. Il est toujours suivi de l’enfer. Vous vous devez d’y assister.
    –  L’enfer ?
    –  Une danse qui pour nous est effrayante. Tenez, la voilà… Une dame d’enfer.
    Francisca réapparaissait, enténébrée par la même robe, mais la tête couronnée d’une sorte de huve noire sommée d’une double rose rouge. Des rubans de velours tremblaient à ses chevilles. De loin, on eût pu les croire maculées de sang.
    Elle avait maintenant un visage effrayant, un sourire de diablesse, des sourcils prolongés par un trait de charbon. Elle était, selon Serrano, une de ces succubes qui subjuguaient les chevaliers, filles pétries de langueur, de vent et de braise, toutes proches des éléments dans lesquels elles aimaient à s’enclore pour s’évaporer, leur malfaisance accomplie.
    –  Ces créatures ne sont pas tendres, messire. Elles ont au cœur la chaleur que la nature allume aux creux sans fond des rochers. Elles sont brûlantes comme ces flammes dont on dit qu’elles sont nées avec le monde. Les castanetas sont l’expression de leurs rires. Oyez ! Elles appellent, crépitent, ronflent, et leurs silences sont pareils à des petites morts… Oyez comme elles vous livrent un message ! Je jurerais que c’est une déclaration d’amour.
    Les castagnettes avaient supplanté la guitare. On n’entendait plus que le timbre unique du bois entrechoqué. Le personnage qui s’animait dans les mains de Francisca, comme indépendant de ses doigts agiles, n’était d’abord qu’une sorte de serviteur fidèle, un compagnon de ses mouvements onduleux. Mais tout à coup, il était doué d’une âme profonde. Il répondait, appelait, consentait, farouche et lancinant, doux et vivant comme une cascatelle. Et c’était une espèce de connivence qui existait désormais entre la danseuse et ses instruments presque invisibles.
    Tristan regardait, fasciné, cette fille qui l’avait touché, cette déesse issue du commun qu’il avait connue tout entière dans ses rondeurs et ses tréfonds, créer derrière elle, sur le mur chaulé, un étonnant fantôme noir, lui aussi, qui vivait une vie indépendante d’elle.
    Elle prit une des roses piquées dans ses cheveux pour l’offrir à quelque imaginaire prud’homme, mais des esprits mauvais essayaient de lui dérober la fleur, et le fracas de ses pieds ornés de rouge suggérait une lutte sans merci. Ses mouvements s’idéalisaient. Elle ne subordonnait pas le geste à la pose et déployait de son front aux orteils, involontairement sans doute, une ineffable beauté, une idéale perfection. Lorsque la guitare se remit à trembler, elle parut exister moins pour l’instrument sibyllin que celui-ci existait pour elle.
    Elle disparut une fois encore, laissant Tristan le souffle coupé tandis qu’une ovation montait, montait, visitée de cris, de hurlements et de sanglots.
    –  Les champions du champ clos pourraient lui envier ce triomphe, dit-il, la gorge serrée.
    Il avait encore en tête les bruissements doux ou forts des castagnettes, les mouvements du torse et des hanches, le serpentement des bras et les variations des belles jambes aux figures énigmatiques. Il se souvenait de ces avant-bras nus au-dessus desquels affleuraient des yeux qui ne semblaient luire que pour lui.
    –  Va-t-elle redanser, Serrano ?
    –  Je ne le crois pas… Il se peut qu’elle nous rejoigne…
    L’Espagnol saisit sa guiterne. Elle devint aussitôt, sur son cœur, autre chose qu’une boîte de bois résonnant sous la vibration des cordes. Il suscita tour à tour des plaintes mélodieuses, de vibrantes coulées de cristal, puis un bourdonnement d’abeilles affolées. Sous la caresse de ses doigts l’instrument exhala une bienfaisante plainte.
    –  La danse, chez-nous, messire, n’est point un déduit 133 sans importance. Il y a en elle – vous en êtes témoin – quelque chose de sacré parce qu’elle est née devant les autels. Elle est l’offertoire chargé des désirs, des angoisses, des plaisirs et des chagrins. Sacrilèges sont ceux qui chercheraient ou n’y verraient qu’une simulation, une… saltation voluptueuse.
    –  Que penses-tu de Francisca ?
    –  Ses paroles sont courtes et son visage long, son regard miroitant comme une

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