Les Fils de France
grande sénéchale, pour rentrer, s’effaça devant la princesse ; mais celle-ci exigea de lui céder le pas.
— Encore le privilège de l’âge, insista Diane.
La famille royale avait accepté, pour quelques jours, cette invitation à Mauny, comme l’auraient fait de simples bourgeois ; d’ailleurs la suite officielle avait été réduite à presque rien. Seul un régiment d’archers campait dans l’avant-cour, pour garantir une sûreté du reste peu menacée.
— Ah, je venais justement vous chercher, dit la reine Éléonore en découvrant Diane et Catherine au milieu du grand escalier.
La souveraine, dans le particulier, était aussi familière et simple qu’elle pouvait se montrer rigide et majestueuse en public.
— Figurez-vous, ma bonne, que M. de Montmorency me parlait du grand amiral, et de ses manigances pour tenter de salir votre réputation. Je suis d’avis que ce drôle mérite une correction.
Diane de Brézé se contenta de sourire. Quand elle avait appris l’odieuse manœuvre de Brion à son égard, elle avait choisi de tout traiter par le mépris. Mais cela n’ôtait rien à la haine qu’elle éprouvait à l’encontre du clan des « hérétiques » – cette singulière trinité que formaient Anne de Pisseleu, favorite, Marguerite de Navarre, sœur du roi, et Philippe Chabot de Brion, grand amiral de France.
— Ma chère Diane, dit le maréchal de Montmorency quand toutes trois l’eurent rejoint devant l’immense cheminée, ne pensez-vous pas qu’il serait temps de mettre un peu d’ordre aux affaires de M. Chabot ?
— Vous faites allusion, peut-être, aux pots de vin que lui versent les armateurs dieppois ou autres, comme le sire Ango...
— Certes, opina le grand maître ; mais pas seulement.
— Vous nous faites languir, dit la duchesse d’Orléans qui ne paraissait point languissante.
— Parlez, parlez ! insista la reine Éléonore.
— Eh bien...
Montmorency se détendit lentement, comme un gros chat tiré de sa sieste par une envie soudaine de chasser le mulot. Diane feignait un détachement aussi forcé que l’était l’intérêt apparent de Catherine.
— Votre Majesté, dit-il à la souveraine, connaît trop les affaires du Portugal 6 pour ignorer les efforts consentis par ce royaume en vue de s’assurer la haute main sur son domaine colonial.
— C’est de bonne guerre, admit la reine.
— En effet. Aussi bien, il y a quelques années, les Portugais n’ont-ils pas mesuré leurs subsides à M. Chabot pour qu’il dissuadât nos pêcheurs d’aller violer ce territoire...
— On les comprend, dit la reine.
— Mais le comprend-on, lui ? Surtout quand on sait que, dans le même temps, et tout en faisant mine d’interdire ces sortes d’empiétement, M. Chabot les encourageait dans l’ombre – moyennant, bien entendu, sa petite commission sur les pêches.
Diane de Brézé feignit l’incrédulité.
— Vous voulez dire qu’il touchait des deux côtés ? Cela me paraît bien habile pour un tel homme.
— Il faisait mieux, ma chère. Il allait jusqu’à dénoncer certains contrevenants aux Portugais, afin d’obtenir, ici et là, quelques rallonges ! Sans renoncer pour autant à protéger ses clients...
— Le diable d’homme ! conclut Catherine de Médicis qui – elle ne s’en cachait pas – trouvait l’amiral amusant.
L’envie de prendre sa revanche sur celui qui, de manière tortueuse, avait monté contre elle un piège des plus grossiers, aurait pu inciter la grande sénéchale à soutenir son ami dans ses accusations, et à pousser son avantage dans l’intimité de la reine et de la princesse. Pourtant Diane n’en fit rien. Au contraire, elle s’offrit le luxe de minimiser la faute de son ennemi et, feignant d’excuser une conduite qui, par ailleurs, la révulsait, trouva des excuses à un homme qu’elle eût volontiers voué à la damnation éternelle.
— Que celui, dit-elle, qui n’a jamais tiré quelque avantage d’une situation favorable, aille lui jeter la première pierre !
— Ma chère amie, vous n’êtes diantrement pas rancunière !
— À quoi servirait-il d’alimenter la querelle entre nous ? estima la noble hôtesse.
Un éclair d’admiration pure passa dans le regard de la reine.
— À tout prendre, hasarda Diane, et s’il fallait me venger, j’aimerais mieux que ce fût contre l’agent actif de toute cette affaire.
— Et de qui parlez-vous ? demanda Montmorency.
— De celui
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