Les Fils de France
l’antique.
— Ce beau messager, dit-elle à l’intention de Chabot, nous arrive tout droit de Nérac.
Elle ne se tourna qu’ensuite vers l’écuyer.
— Vous connaissez le grand amiral de France...
Gautier n’avait que trop souvent croisé Philippe Chabot de Brion : cet ami du monarque n’avait-il pas épousé l’amour de sa vie 3 , l’inoubliable Françoise ? Il s’inclina de plus belle, mais non sans regretter de ne pouvoir souffleter à son aise ce visage rose à barbe blonde, de ne pouvoir crever lui-même ces yeux bleu gris emplis de morgue.
La favorite s’approcha tout près de l’écuyer, lui donnant le sentiment qu’elle le caressait par la pensée.
— Comment va notre Marguerite ? demanda-t-elle à mi-voix.
Gautier manqua de se troubler. Il regardait fixement devant lui.
— La reine de Navarre se porte bien, madame, Dieu soit loué. Elle m’a chargé de ce pli pour vous.
Il tendit à la comtesse un petit étui d’écaille, qu’elle prit en lui effleurant la main. Elle en sortit un message roulé qu’elle parcourut d’un clin d’œil, avant de le transmettre à l’amiral. Celui-ci mit plus longtemps à le déchiffrer. Anne persévérait à couver l’écuyer du regard.
— Vous arrivez un peu tard, monsieur...
Dans son message, la reine de Navarre enjoignait la favorite d’user de toute son influence sur le roi pour que soient renoués, après trois mois d’interruption, les liens créés avec les Réformés d’Allemagne, et notamment avec Philippe Melanchthon 4 , l’un de leurs brillants chefs de file. L’idée de la reine de Navarre et de ses partisans était de s’appuyer sur ce dialogue pour envisager une réforme en douceur de l’Église de France.
— Nous traversons des temps pénibles, s’excusa presque la comtesse... Et je crains fort que le dialogue avec les protestants d’Allemagne ne soit plus de saison.
— Melanchthon ! hoquetait de son côté Brion, perdu dans sa lecture.
— Vous l’ignorez peut-être, monsieur, poursuivit-elle, mais on vient de saisir, ce matin même dans Paris, un nouveau pamphlet ordurier contre la sainte messe. Le roi s’en est offusqué ; et notre ami m’informait justement, avant que vous n’entriez, de mesures graves qui seront prises au Conseil dès ce soir.
Anne marqua une pause, comme pour souligner le caractère inouï de ce qu’elle allait révéler.
— Sachez qu’il est question d’interdire, purement et simplement, l’impression des livres dans tout le royaume ; et cela jusqu’à nouvel ordre !
— Interdire les livres ?
— Considérez que c’est chose faite ! approuva l’amiral en achevant sa lecture.
Mme d’Étampes étant connue pour son amour des livres, sa désolation ne pouvait qu’être sincère.
— Vous voyez donc, monsieur, que le moment est mal choisi pour transmettre un message quelconque à nos chers Allemands ! L’heure n’est plus, je le crains, à la conciliation... Nos prêtres réclament des sanctions.
Aux yeux de Croisay, ces confidences feutrées de grands personnages étaient bien plus inquiétantes encore que les éructations des gens du peuple. Qu’allaient devenir ses coreligionnaires ? Sa propre sûreté se trouvait-elle menacée ? Il devait se renseigner.
— Puis-je vous demander, madame, et à vous, monseigneur, ce que vous pensez de la sécurité des Luthériens de France ?
Anne de Pisseleu échangea un regard des plus ironiques avec son visiteur.
— En connaîtriez-vous ? Nous, pas...
Elle laissa tomber un petit rire malicieux, étrangement agréable. Le grand amiral souriait aussi.
— Rassurez-vous, conclut ce haut personnage ; je vous ai sous ma protection. J’aurai peut-être même une mission pour vous.
Paris, palais du Louvre.
D epuis la forteresse du Louvre, par une verrière récemment percée, le maréchal de Montmorency, grand maître de France, observait la foule massée devant Saint-Germain-l’Auxerrois. Sous le ciel blanc du matin, des milliers de fidèles, répondant à l’appel de la Sorbonne et des paroisses de Paris, formaient une foule dense. Sombre. Tous se préparaient à suivre la procession solennelle, afin d’expier les crimes commis, ces derniers temps, contre l’Église et contre Dieu. Les pénitents se rassemblaient par clocher ou par corporation ; la plupart des hommes étaient sans coiffure, beaucoup en chemise malgré le froid, certains pieds nus en signe de contrition.
— Il ne manque plus que des
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