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Les Fils de France

Les Fils de France

Titel: Les Fils de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Franck Ferrand
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Jeanne leur coupa brutalement la parole.
    — Vous remettrez ceci à mon mari, déclara-t-elle.
    Et d’un geste emphatique, elle désigna, dans son écrin, l’anneau des épousailles. Les Allemands, comme s’ils venaient d’entrevoir le Mal, se récrièrent aussitôt. M. de Drimborn, dans un français soudain plus qu’approximatif, expliqua qu’il avait toute licence de se charger de la lettre, mais aucune d’accepter la bague.
    — Cela n’est pas prévu, répétait-il, furieux.
    — Moi, je l’avais prévu, infirma la jeune femme. Maintenant, écoutez bien, messieurs ! Si seul le duc de Clèves peut entendre ce que j’ai à lui dire, mettez-vous à sa place, ouvrez grand vos ouïes, et vous lui répéterez ce que je lui déclare par votre intermédiaire : « je souhaite, monsieur le duc, ne rien conserver de vous, puisque je ne veux même pas de votre personne ! »
    Les envoyés étaient au bord de l’apoplexie. À la façon dont le plus vieux se tenait le flanc, on pouvait même imaginer qu’il allait passer.
    — Je ne veux point de sa personne ! martela Jeanne. Dites-le-lui bien, je vous prie, de ma part. Sur ce, messieurs, adieu !
    Jeanne fit volte-face, ne salua, prestement, que le nonce, et disparut dans ses appartements, laissant M. de Drimborn et sa suite plus effondrés, peut-être, qu’au soir de la capitulation de leur maître.

Château de Limours.
    L e billet qu’avait reçu Gautier était assez sibyllin pour autoriser les mirages. Et c’est peu dire qu’à force d’idéaliser la duchesse, il en espérait des légendes. « Soyez, s’il vous plaît, au pavillon de Limours, ce deuxième samedi d’octobre. Venez en toute oisiveté, pour que ne périssent point les arts de Cupidon. » Cette dernière phrase était tirée de M. Rabelais dont l’écuyer, malheureusement, ignorait jusqu’au nom... Il n’en fut pas moins précis au rendez-vous.

    C’était une de ces rares, une de ces précieuses journées d’automne qui, bien qu’empreintes encore des langueurs de l’été, annoncent déjà l’hiver par leur gravité presque suave. Derrière la demeure, les frondaisons d’or et d’ambre, rougeoyant sur un fond de sous-bois gris-bleuté, donnaient le sentiment d’avoir été créées pour quelque pastorale... Des daims, sans doute apprivoisés par la maîtresse des lieux, peuplaient ce bocage un peu trop idyllique.
    — Vous venez voir madame la duchesse ? demanda le palefrenier qui, sitôt franchi le petit pont, était accouru pour s’occuper de la monture.
    — Je dois me rendre au pavillon, précisa Coisay.
    Le valet conduisit le visiteur vers le fond du domaine, jusqu’au havre étudié d’une chaumière. En vérité, les dehors frustes de la masure abritaient un dedans recherché.
    Comme en songe, le palefrenier s’était volatilisé. Gautier se passa les mains sur le visage.
    Il dégrafa sa cape, la jeta sur une chaise de noyer, caressa du regard les tentures de laine sombre, les tapis d’herbe tressée, le drôle de lit dégagé, sans baldaquin... Il contempla aussi le revers tout sculpté d’une cathèdre un peu haute.
    Tout à coup, dépassant du dossier, l’écuyer aperçut un morceau de velours bleu, bordé d’hermine. Se pouvait-il...
    — Anne ?
    — Soyez le bienvenu, beau voyageur.
    Il était sidéré. La belle tendit un bras qu’il soutint ; elle se leva. Avant qu’il ait eu le temps d’exprimer sa surprise, elle était dans ses bras et, posant ses lèvres sur les siennes, lui délivrait le plus accueillant des baisers. Sous le manteau doublé, elle portait une robe d’étoffe fine et profuse, comme une corolle opalescente, serrée sur une taille irréelle ! Quatre énormes topazes en soulignaient le décolleté large, pulpeux. Aucun collier sur son cou de biche.
    — Merci d’être venu...
    Il passa des doigts souples, habiles, dans ses cheveux d’or filé. Les yeux de la jeune femme, comme deux papillons prêts à s’envoler, clignaient paisiblement.
    Par hasard – à moins que ce ne fût de la prescience – lui aussi portait une tenue bucolique : un pourpoint rouge ajusté, sanglé même, avantageant le torse, avec les manches brodées ; des chausses en peau de chamois glissées dans de fortes cuissardes. Elle le dévisagea.
    — Jolis traits, monsieur...
    Il est vrai qu’avec les années, le visage de Gautier s’était enrichi d’une patine agréable. Ses cheveux ondulés avaient à peine blanchi par mèches... Il

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