Les Fils de France
la belle veuve atteignit le but visé : Anne se crispa au point de frissonner sous ses hermines.
— Il n’est pas bon, dit-elle, que vous embarrassiez le roi de nos petites querelles. Voyez-le autant que vous voulez, cela ne m’inquiète en rien... Mais tâchez plutôt de le distraire comme je le fais de mon côté.
— Je n’ai certes pas les mêmes arguments !
— Chaque âge a les siens...
Le premier choc avait été sérieux. Les deux cercles de spectateurs qui, d’un peu loin, surveillaient la joute, le comprirent à la façon dont la grande sénéchale remonta nerveusement sa chape de vison noir.
— Vous allez partout exhibant votre jeunesse, et répétant que vous êtes jeune, très jeune, la plus jeune ! Je vous le concède d’autant plus volontiers que cette jeunesse-là, après avoir été un état de nature, est en train de devenir, chez vous, un fait de culture. Oui, il me paraît fort que vous serez toujours jeune – au sens où l’on dit d’un guerrier qu’il est court.
— Si la jeunesse vous est indifférente, pourquoi vous acharnez-vous tant à retenir la vôtre ?
— Oh, je ne retiens rien, madame, et vous confondez en ce moment jeunesse et vitalité... Voyez-vous, lorsque vous remuez ciel et terre pour faire lever un siège dont le succès porterait ombrage à vos intérêts, vous faites preuve de jeunesse ; mais lorsque, consciente de ce mauvais service, je m’emploie à en limiter autant que possible les effets délétères, alors je ne marchande pas ma vitalité.
— Quitte à prêter un peu de cette vitalité à des princes qui, sans vous, en seraient démunis...
— Il me paraît préférable d’insuffler de l’ardeur à un jeune prince, que d’en soustraire à un roi vieillissant.
— Je ne dérobe rien à personne, madame !
— Je n’ai pas dit que vous dérobiez... Il est des prêts consentis qui se révèlent funestes.
À leurs pieds, la Loire coulait sous le soleil, tranquille et langoureuse – visiblement étrangère aux mesquineries humaines. Des bateliers y conduisaient quelques chalands débordant de marchandises.
Diane estimait avoir désarçonné son adversaire. Elle s’apprêtait, du reste, à quitter la lice quand, ne boudant pas son plaisir, elle se retourna pour un dernier trait.
— Vous me faites, dit-elle, songer à ces hermines dont vous portez si joliment la fourrure... Comme elles fuyante et fouineuse, comme elles mordante jusqu’au sang – et vulnérable pourtant, vulnérable pour la même raison qu’elles.
Anne voulut bien sourire, mais de défi plus que d’amusement.
— Et cette raison, quelle est-elle ?
— Vous a-t-on jamais dit qu’au moment des amours, il devient très facile de les prendre ? Car leurs plaisirs, dont elles sont aveuglées, prennent alors le pas sur le reste, et les conduisent à négliger toute prudence.
Le sourire de la duchesse se figea.
— Puisque les hermines vous passionnent, vous savez sans doute pourquoi les ducs de Bretagne les ont prises pour emblème.
— Vous brûlez de me l’apprendre.
— Je l’avoue... Un jour donc, un duc de Bretagne, chassant l’hermine avec ses hommes, s’étonna qu’une de ces petites bêtes, acculée devant un ruisseau de boue, s’arrêtât soudain et fît face aux chasseurs. On dut lui expliquer que l’hermine aimait mieux sacrifier sa vie que maculer son joli manteau blanc. Alors il défendit qu’on tuât la malheureuse... N’est-ce pas ce qui s’appelle un symbole de pureté ?
En disant cela, la duchesse d’Étampes avait serré contre elle la voluptueuse douceur de son manteau immaculé.
— J’y vois surtout, répondit la sénéchale de Poitiers, une preuve d’inconséquence.
Elle s’éloignait déjà vers le logis, mais par le bord de la terrasse – en prenant soin d’éviter ses gens.
— Et ces bateliers vous le diraient mieux que moi, conclut-elle : l’inconséquence est un travers qui, sur le long cours, ne pardonne jamais.
Dans la guerre qu’elle soutenait contre son ennemie, Diane de Poitiers avait dû apprendre à se passer, désormais, de l’appui – si longtemps décisif – du connétable de Montmorency. Elle s’en consolait en songeant que « la Pisseleu », de son côté, avait perdu celui de l’amiral de Brion, et que la disgrâce feutrée du premier valait mieux, à tout prendre, que le procès retentissant infligé au second. Cependant, la position de la grande sénéchale à la Cour demeurait plus que
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