Les fils de la liberté
Je vais te montrer, moi, ce qui est intéressant, murmurai-je.
Ou du moins, je crus le murmurer. En réalité, je n’émis probablement aucun son. J’étais chaudement habillée mais cela ne faisait aucune différence. J’étais nue, de l’air froid sur mes seins, sur mes cuisses… entre mes cuisses.
Je serrai les jambes de toutes mes forces et me mordis violemment la lèvre. Cette fois, je sentis vraiment le goût du sang. Toutefois, la suite ne se produisit pas. Je m’en souvenais comme si c’était hier mais ce n’était qu’un souvenir. Cela ne se reproduisit pas.
Très lentement, je revins à moi. Ma lèvre me faisait mal. Je pouvais sentir l’entaille du bout de la langue, ainsi qu’un goût métallique d’argent et de cuivre.
Je haletais comme si je venais de courir un marathon mais, au moins, je pouvais respirer. Mes narines étaient dégagées, ma gorge n’était pas écorchée. J’étais trempée de sueur et mes muscles étaient endoloris d’avoir été tant contractés.
Des gémissements s’élevaient derrière un buisson sur ma gauche. Ils ne l’ont donc pas tué, pensai-je vaguement. J’aurais sans doute dû aller l’aider. Je n’en avais pas envie. Je ne pouvais toucher un homme, ni même voir un homme, ni être dans les parages d’un homme. De toute manière, je ne pouvais pas bouger.
Je n’étais pourtant plus paralysée par la terreur. Je savais où j’étais et que je ne risquais rien. Mais je n’arrivais pas à remuer d’un pouce. Je restai recroquevillée sur moi-même et écoutai.
L’homme gémit plusieurs fois et roula lentement sur le côté.
— Oh merde, balbutia-t-il.
Il resta ainsi quelques instants, respirant avec bruit, puis se redressa brusquement et répéta plus fort :
— Oh merde !
Je n’aurais pu dire si c’était à cause de la douleur ou parce qu’il se souvenait soudain qu’on l’avait détroussé. Il jura, soupira. Il y eut un silence… puis un cri de pure terreur qui me transperça comme une décharge électrique.
Il se releva précipitamment en glissant… Mais pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Que se passait-il ? Puis il prit ses jambes à son cou dans un fracas de branches. La terreur était contagieuse. Je voulais m’enfuir, courir… Je me redressai, le cœur battant à se rompre, mais ne savais pas où aller. Je n’entendais rien à part le vacarme de l’homme dans sa fuite. Qu’y avait-il ?
Un bruissement de feuilles mortes me fit tourner brusquement la tête, au bord de la crise cardiaque. Et Rollo posa sa truffe moite au creux de ma main.
— Putain de bordel de merde ! hurlai-je.
Je fus presque soulagée d’entendre ma propre voix. Des pas s’approchèrent sur le tapis de feuilles.
— Ah, vous voilà, tante Claire !
La haute silhouette de Ian ne formait qu’une ombre. Il me toucha le bras et me demanda avec anxiété :
— Vous vous sentez bien ?
— Oui, répondis-je d’une voix faible, avant de répéter avec plus de conviction : Oui, ça va. Je me suis trompée de chemin dans le noir.
La haute silhouette se détendit.
— Ah, je me disais bien que vous deviez vous être perdue. Denny Hunter est venu me trouver pour me dire que vous étiez partie chercher de la graisse mais n’étiez pas revenue. Je me suis inquiété et Rollo et moi sommes partis vous chercher. Qui était ce type à qui Rollo a flanqué une peur bleue ?
— Je n’en sais rien.
L’allusion à la graisse me rappela subitement ma tasse. Elle était par terre, vide et propre. Des lapements m’informèrent que, ayant fini son contenu, Rollo léchait à présent les feuilles sur lesquelles la graisse d’opossum s’était renversée. Compte tenu des circonstances, les réprimandes n’étaient pas de mise.
Ian ramassa la tasse.
— Revenez auprès du feu, ma tante. Je vais aller vous en chercher d’autre.
Je le suivis docilement sans prêter attention à mon environnement. J’étais trop occupée à essayer de faire le ménage dans mon esprit et à retrouver un semblant d’équilibre mental.
Je n’avais entendu le terme « flash-back » que brièvement à Boston dans les années soixante. Avant, cela avait un autre nom mais je savais ce que c’était. Et je l’avais vu de mes propres yeux. Pendant la Première Guerre mondiale, on parlait de traumatisme dû au bombardement ; puis, pendant la Seconde, d’épuisement au combat. C’était ce qui arrivait lorsque vous viviez des événements auxquels vous n’auriez
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