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Les fils de la liberté

Les fils de la liberté

Titel: Les fils de la liberté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Diana Gabaldon
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interrogateur.
    — L’Ami Jebediah n’est pas constipé, n’est-ce pas ? J’ai cru comprendre que son problème était plus mécanique que physiologique.
    Je me mis à rire et lui expliquai la situation.
    — Ah, je comprends. J’ai bien un onguent mais il est mentholé. C’est pour traiter la grippe ou la pleurésie. Je ne pense pas que l’anus de l’Ami Brewster appréciera.
    — J’en conviens. Allez donc aider M. Shoreditch ; je vais chercher de la graisse commune et vous rejoins.
    La graisse, sous toutes ses formes, était l’un des ingrédients de base de la cuisine. Il ne me fallut rendre visite qu’à deux campements pour m’en procurer une tasse pleine. La généreuse donatrice m’informa qu’il s’agissait de graisse d’opossum fondue.
    — C’est plus gras que le gras, m’assura-t-elle. Et en plus, ça a bon goût !
    Cette dernière caractéristique n’intéresserait sans doute pas M. Brewster – du moins, il fallait l’espérer. Je me confondis en remerciements et repartis dans l’obscurité en direction des tentes hospitalières.
    Ou plutôt, je crus me diriger vers elles. La lune ne s’était pas encore levée et, quelques minutes plus tard, je me retrouvai sur une petite colline boisée dont je n’avais pas souvenir, trébuchant contre des racines et des branches tombées.
    Sans cesser de maugréer, je tournai à gauche. Ce devait être par là… Mais non. Je m’arrêtai en jurant à mi-voix. Je ne pouvais pas m’être perdue. Je me trouvais au milieu d’un camp contenant au moins la moitié de l’armée continentale, en plus d’une douzaine de compagnies de miliciens. La question était de savoir où exactement je me trouvais dans ce camp. Je distinguais les lueurs de plusieurs feux à travers les arbres mais leur configuration ne me disait rien. Désorientée, je partis dans l’autre sens, plissant les yeux pour tenter d’apercevoir le toit rapiécé de la grande tente du colonel Martin, le plus grand repère visible dans le noir.
    Quelque chose me glissa sur le pied et je fis un bond, renversant de la graisse liquéfiée sur ma main. Je serrai les dents etm’essuyai délicatement avec mon tablier. Effectivement, la graisse d’opossum était extrêmement grasse ; le principal inconvénient de ce lubrifiant polyvalent étant d’empester comme un opossum crevé.
    Mon cœur, déjà malmené par cette première frayeur, fit à nouveau un bond quand une chouette surgit du bosquet sur ma droite, comme si un morceau de la nuit prenait soudain son envol silencieux à quelques centimètres de mon visage. Puis une banche craqua et j’entendis plusieurs hommes se frayer un passage dans le sous-bois en échangeant des chuchotements.
    Je me mordis la lèvre inférieure et restai parfaitement immobile, envahie par une terreur irrationnelle.
    Ce n’est rien ! me répétai-je. Ce ne sont que des soldats cherchant un raccourci. Il n’y a pas de danger. Il n’y a aucun danger !
    Mon système nerveux ne voulut rien entendre. Je perçus un juron étouffé, un crissement de feuilles mortes, des craquements de branches puis soudain un bruit sourd, comme celui d’un objet contondant percutant un crâne humain. Un cri, un corps qui tombait, un bruissement furtif tandis que les voleurs fouillaient les poches de leur victime.
    Je ne pouvais pas bouger. Tout mon corps voulait s’enfuir mais c’était comme si j’avais pris racine. Mes jambes ne répondaient plus.
    J’avais la bouche ouverte. J’essayais de toutes mes forces de me retenir de crier tout en étant terrifiée qu’aucun son ne sorte de mes lèvres. Ma respiration bruyante résonnait dans mes oreilles. Tout à coup, je sentis ma gorge inondée de sang, mes poumons bloqués et mes narines bouchées. Un poids m’écrasait, lourd, amorphe, me clouant sur un sol de cailloux et de pommes de pin. Un souffle chaud contre mon oreille murmurait :
    — Tout doux. Pardonne-moi, Martha, mais faut que t’y passes. Faut que je t’en mette un coup… Voilà, comme ça… Oh, bon sang, oui… oui…
    Je ne me rappelais pas être tombée mais j’étais recroquevillée en chien de fusil sur le sol, tremblante de rage et deterreur. Plusieurs hommes passèrent entre les buissons à quelques mètres de moi, riant et plaisantant.
    Puis un petit fragment du peu de raison qu’il me restait s’éleva des profondeurs de mon cerveau, observant avec détachement : Tiens, mais c’est un flash-back. Comme c’est intéressant.
    —

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