Les fleurs d'acier
son propre compte, avec des truands à sa dévotion, l’existence à laquelle le vouait son tempérament cruel, avide et bataillard : c’était un routier.
À cette époque où la loyauté chevaleresque avait encore un sens, où l’honneur était encore une vertu, où l’on se battait toujours après s’être présenté de front à l’adversaire lorsque l’on était seul à seul, ou haié (disposé en haie, ce qui revient au même) lorsque l’on s’était ordonné en « bataille », Guesclin fut le champion des agressions dans le dos, des embuscades, des combines pernicieuses, tuant même les chevaux pour mieux occire les cavaliers, ce qui pour tout homme d’armes était le comble de l’infamie.
Plus que les truands eux-mêmes, il jouissait de verser le sang. Ce fut un anti - chevalier. Ses singuliers mérites séduisirent les Valois qu’il servit sans jamais émettre une objection sur les besognes qu’ils le chargeaient d’accomplir.
Certes, on peut penser que la cruauté faisait partie des mœurs et que nos ancêtres s’y étaient résignés avec un fatalisme (de surface) qui étonne notre conscience parce que – hormis les politiciens – nous sommes devenus extrêmement sensibles aux hémorragies de toutes sortes. Or, à ce compte-là, pourquoi occulter les crimes de Guesclin, particulièrement ceux qu’il commit en Espagne de sa propre (!) initiative, et sanctifier cette brute épaisse ?
Que fit-il après le siège de Rennes ? Ses biographes sont bien embarrassés. L’un des tout premiers, Masselin (1822) brode ou se tait. Siméon Luce, lui, ne manque jamais de s’étonner sans vouloir pourtant admettre qu’il était un soudard. Plus proche de nous, l’un des derniers, dans une biographie parsemée d’erreurs, constate [418] :
« Toutes les hypothèses sont permises quant aux faits et gestes de Bertrand au cours des années qui séparent le siège de Rennes en 1342 de la prise de Fougeray en 1350. Pas une seule fois son nom n ’apparaît sur les documents contemporains et aucun chroniqueur ne signale sa présence dans les batailles de la guerre d’indépendance bretonne. »
Et d’ajouter malicieusement :
« Toutefois, dans une lettre écrite le 11 novembre 1343, un certain John de Hartskill, lieutenant du roi d’Angleterre en Bretagne, demande au chancelier du roi “l’arrestation d’un homme qui commande la rébellion en Bretagne”. Pourquoi ne s’agirait - il pas de Bertrand du Guesclin ? »
Le reste de l’ouvrage est émaillé de : « Si Bertrand séjournait à…, il avait sans doute… » – « Ce fut peut - être en écoutant le récit de Crécy que Bertrand du Guesclin… » – « Ce fut probablement… » – « Sans doute était - il… » – « D’après une tradition locale, Bertrand aurait été… » – « On peut se figurer que… » etc. Comment, d’ailleurs, prendre au sérieux un auteur qui situe la naissance de Hue de Calveley en 1341, ce qui fait qu’il aurait eu dix ans lorsqu’il participa au combat des Trente ? Or, l’Anglais avait entre vingt et un et vingt-six ans quand il fut de cette bataille.
En fait, « l’intrépide Breton », après son éclipse, réapparaît – le fait est d’ailleurs incertain – comme… organisateur de joutes de Pontorson avec Baudouin de Lens, sire d’Annequin, en 1353 [419] , très haut fait de guerre, on le voit, avant de figurer dans un… festin donné par le sire d’Audrehem à Montmuran, chez Jeanne de Dol, dame de Combourg, veuve de Jean, sire de Tinténiac, le jeudi saint 10 avril 1354. Et Siméon Luce, qui rapporte l’événement, de noter, navré, que Bertrand d’Argentré qui, le premier, a raconté le fait de guerre, paraît avoir emprunté la matière de son récit à une tradition locale… Car après ce repas, Bertrand serait allé à la rencontre de Hue de Calveley et…
Eh bien, non, ce n’est pas Bertrand qui fit prisonnier le capitaine anglais, c’est Enguerrand de Hesdin.
Alors, est-il vrai qu’après ce coup de main Bertrand fut fait chevalier par Elâtre des Marais, châtelain de Caen, subjugué par la bravoure du Breton ? Siméon Luce constate, navré : « Cette chronique ne nomme pas notre héros dans les quelques lignes qu’elle consacre à l’affaire de Montmuran. Cependant, comme il n’est aucune des circonstances du récit de d’Argentré qui ne soit en parfait accord avec ce que nous savons par les actes, l’historien peut et
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