Les fleurs d'acier
même doit l’admettre… du moins jusqu’à nouvel ordre. » Regrettant l’absence de preuve – après tout, Bertrand pouvait avaler son dessert pendant que les autres se battaient – l’auteur constate que son héros « est qualifié de chevalier dans un acte du dauphin Charles en date du 13 décembre 1357 » ; il avoue :
« Si nous nous sommes tant efforcé de donner quelque consistance historique à la légende [420] du combat de Montmuran, c’est que la promotion de notre héros dans l’ordre de la Chevalerie fut le point de départ indispensable de ses hautes destinées. »
En fait, s’il n’y eut pas Guesclin au combat de Montmuran et s’il chaussa les éperons d’or, peut-être s’agissait-il de ceux de son père, un fier combattant, qui venait de trépasser, et qu’il s’appropria.
UNE ROBE QUI CACHE TOUT
Siméon Luce, après avoir traité son héros de maraudeur – doux euphémisme – soupire en constatant que la robe blanche du chevalier « acheva de recouvrir ce que ses contemporains auraient pu trouver de trop humble ou même de risqué dans l’aventureuse pauvreté de ses débuts. »
Donc, tout ce qu’on sait sur la jeunesse du « grand homme » repose sur… du vent. Était-il à Crécy ? Non. Que fit-il pendant l’invasion de la Normandie par Édouard III et ses hommes ? Rien… et pourtant il dut en être informé. Le voit-on dans les rangs des Français à Poitiers ? Non. Participe-t-il au fameux combat des Trente, sur la lande de Ploërmel, dans sa Bretagne ? Non. Jamais là quand il faut faire face à l’ennemi ! On dit, mais on n’en est pas si certain, qu’il servit sous les ordres de Pierre de Villiers, capitaine de Pontorson, au second siège de Rennes, en janvier 1357. Voire… bien qu’on lui attribue des prouesses invérifiables.
Il donna la mesure de ses affreux talents en Espagne, à la tête des Grandes Compagnies. Là, au moins, parmi la sentine des armées, il était à son aise et à son affaire. Soutenant Henri de Trastamare contre Pierre, dit à juste raison le Cruel – sous le règne duquel, cependant, Espagnols, Juifs et Maures vivaient en symbiose et bonne intelligence –, ses exploits ont des noms de villes martyres : Magalon, Borja et Briviesca où les hommes d’armes de Bertrand crièrent au pied des murailles : « Espagnols forcenés, rendez - nous les Juifs ou vous le paierez ! » et où, la cité conquise, Bertrand lui-même, apprenant que les Juifs s’étaient réfugiés dans une tour, ordonna à ses sergents : « Apportez - moi des graisses et oignez de tous côtés la porte de cette tour. » Il les embrasa lui-même, participa à leur mise à mort « dans de grands tourments » avant que de piétiner les cadavres lorsqu’il eut accès au crématoire.
Dans chaque ville où il passa, il eut cet unique souci : qu’on lui livrât la juiverie afin qu’il la fit périr. À tel point qu’on peut se demander si, à Paris, il n’avait pas reçu de cet hypocrite bigot de Charles V, ce commandement-là juste après celui d’asseoir le Trastamare sur un trône immérité [421] .
Trois fois prisonnier, perdant la plupart des grandes batailles – comme à Najera –, vaniteux à l’excès, d’une férocité à la mesure de sa hideur, traître aux siens, vendu à la Couronne de France, cet homme de son ombre impudente dissimule les vrais patriotes bretons, les Montfort, en particulier, et Jeanne de Clisson qui à la mort de son mari se fît corsaire… Que l’on cherche leurs noms sur les dictionnaires et l’on est bien déçu : ils en ont été exclus !… Le seul Clisson qui y figure est le fils de Jeanne, dévoué, tout comme Guesclin, aux Valois et qui, après Bertrand, devint leur connétable. En revanche, que de fleurs pour Guesclin ! Guesclin qui, vers la fin de sa vie, en 1378, s’en alla rétablir l’ordre en Bretagne – on devine comment – et s’y fit détester. Elle-même effrayée par les prémices d’une annexion sanglante, Jeanne de Penthièvre avait changé de camp !
Inconditionnel suppôt de l’oppresseur – Valois ou Trastamare –, féroce maladivement, ennemi des Sarrasins – mais fier de penser qu’il avait en son sang quelques gouttes du leur au point que, croyant descendre d’un calife de Bougie, il pensa, lorsqu’il se trouva au fin fond de l’Espagne, débarquer en Barbarie (il est de ces coïncidences !) pour aller revendiquer son héritage – ;
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