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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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flammes, émergeant comme des bourgeons d’or des branches d’un candélabre, aggravaient l’air dolent. Il vit le cou fragile et les épaules lasses et ressentit, réfléchies soudain dans son corps, les ondes de chagrin qui les avaient ployés. Le noir de la robe avivait l’expression mélancolique de cette créature, à vrai dire inconnue, dont la ténacité native transparaissait dans l’éclat des yeux et le pli léger des lèvres. Elle n’avait pour toute parure qu’un collier d’argent qu’elle tordait d’une main tremblante.
    — Aude, je suis ton frère et je reviens ce soir.
    En cheminant, et tout en s’efforçant de composer les traits de cette sœur d’autant plus chère à son cœur qu’elle s’était, pour l’image et la voix, évanouie en sa mémoire, il avait prévu qu’une fois passé l’étonnement de le savoir en vie, Aude bondirait à sa rencontre, et qu’il se hâterait au-devant d’elle. Pour cette scène encore, il s’était abusé. Elle savait depuis un an qu’il vivait, et transie d’ébahissement ou d’incrédulité, elle restait assise. Sa bouche déclose frémissait sans qu’aucune parole, aucun rire en sortît. Sa vue, son cœur, ses convictions, ses songeries venaient de recevoir un coup. Oh ! certes, il comprenait qu’elle défaillît presque : elle avait façonné le jouvenceau d’autrefois selon ses goûts et quelques souvenirs tenaces – encore qu’altérés par les ans. Brusquement, il démolissait tout : dans la lugubre enceinte de Gratot, il effaçait ce soir les tourments, les usages. Plutôt qu’un fils, qu’un frère, il n’était présentement qu’un horzain auquel une écorce de fer conférait un air de forcennerie paisible, mais prête à s’épancher. Et, bien qu’Aude fût d’un an son aînée, bien que naguère elle l’eût parfois traité de haut, l’adulte qu’il était devenu l’effarouchait. Elle doutait toujours de sa réalité. Elle l’avait trop attendu !
    — C’est bien lui , n’aie crainte ! dit en riant leur père. Quelquefois, l’ébahissement est pareil à une buffe [114] .
    Tout autant que cet homme enfin visiblement heureux, Ogier sentit la nécessité de rompre l’enchantement où non seulement s’abîmait cette sœur bien-aimée, mais aussi – il s’en apercevait soudain – tous ces familiers effarés qui, jetant des regards les uns sur leur damoiselle, les autres sur leur seigneur ; les autres, enfin, sur ces visiteurs tardifs, muets et décontenancés, pensaient sans doute à Luciane d’Argouges, morte d’avoir douté de ce retour. Mais comment abréger leur silence ? Comment faire pour qu’Aude sortît de sa stupéfaction ? Tout ce qu’il avait imaginé d’elle, de sa joie, de sa ferveur procédait en fait de ses propres dispositions à lui. Il l’avait pétrie de ses rêves, de ses souvenirs. Elle était autre. Et le temps lui aussi était autre en ces lieux : il coulait avec une lenteur singulière.
    — T’aurais-je, ma sœur, croisée ce soir dans Coutances, que je me serais retourné sur toi !
    Sa voix changée, sa voix de mâle devait également la confondre.
    — J’ai presque envie de te dire vous… et salue tes compagnons et compagnes !
    Un murmure s’éleva enfin parmi les convives : échappant à leur léthargie, tous se levèrent dans un raclement de bancs et de sabots, firent face et s’inclinèrent.
    — Oh ! non, pas de cérémonie. Vous êtes demeurés fidèles à mon père : nous sommes donc égaux dans la diffame… Je n’ai de plus que vous que le poids de ces fers, mais croyez bien que s’ils pèsent à mes membres, mon cœur, lui, n’a jamais été si léger !
    Ogier souriait, bras ouverts, comme pour les étreindre tous. Il devait les rassurer, les égayer. Leur sobre détresse enflammait la sienne. Il se tourna vers son père et, baissant la voix :
    — Si Mère était présente, ce soir, il en aurait été différemment. Nous nous serions ébaudis et nous aurions pleuré en nous étreignant… J’aimerais que du Ciel elle nous voie ensemble !
    Il respirait mal, et pourtant, cette odeur retrouvée de nourriture, de feu moite et d’humidité, quelle félicité !
    — Ils sont tous là sauf, bien sûr, les guetteurs : Asselin, Courteille et Desfeux, les plus jeunes… Tu les as connus pas bien grands : Courteille a quatorze ans et Desfeux quinze, mais notre géhenne en a fait des hommes.
    Les mâchoires de Godefroy d’Argouges furent prises

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