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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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corné votre approche, c’est que la truandaille aurait agi différemment de vous… En cinq ans, nous avons subi quinze assauts, tous pareils en leurs commençailles. La nuit, bien sûr. J’ai de bons archers, mais au matin nous n’avons jamais retrouvé un seul corps : ils emportent leurs morts… Comme si nous ignorions d’où ils viennent et qui les a commandés !… Blainville a essayé de soulever nos voisins contre nous. Non seulement le seigneur de Pirou, mais les hurons de Gouville, Montsurvent, Agon, Heugueville… Il a échoué.
    — Quinze assauts en cinq ans… murmura Bressolles.
    — Cela peut vous sembler mince, messire. Toutefois, dès le premier, les femmes ont été effrayées.
    — Celles de Rechignac étaient plus courageuses !
    Ogier ne se soucia pas que cette glose pût être désagréable. Il essayait de se ressaisir, d’étouffer sa déconvenue, de se forger, pour l’avenir immédiat, une confiance et des forces nouvelles.
    — Il n’y a point d’offense, Père, à dire cela.
    — Certes, mon fils. Sache aussi que si tu ne vois aucun enfant, c’est que les jeunes familles s’en sont allées. Ces malandrins veulent moins notre trépas que l’abandon de notre chevance [113] . Quand ta mère est morte, Aude et nos serviteurs furent tellement affligés que, pour atténuer leur douleur, je leur ai dit que tu vivais et que tu nous revancherais un jour… Je le leur ai juré sur la Croix… Le temps passait. Certains ont dû douter de ma sincérité… Le premier à deviner que tu nous revenais, c’est Asselin… Il vous a épiés tout en s’abstenant de souffler dans sa trompe… Et si nul autre que moi ne s’est levé pour aller jusqu’au pont, c’est que nous sommes las, bien las… et que depuis longtemps, chaque soir, je t’attends.
    Ils parvenaient devant la porte cloutée du logis lorsqu’elle s’entrouvrit, poussée par une épagneule noire, aussi haute que Saladin, et qui grondait, montrant les crocs.
    — Couché, Péronne !
    La chienne, méfiante, tourna autour d’Adelis et de Thierry, flairant leurs pieds, tandis que Saladin, immobile et haletant, la surveillait sans agressivité.
    — Ce grand chien jaune est tien ?
    — Oui, Père… Une fille de Rechignac me l’a donné voici cinq ans…
    Le visage d’Anne flotta dans la mémoire d’Ogier. Où était-elle, à présent, le ventre plein de l’enfant qu’il lui avait fait ? Vivait-elle toujours dans cette grotte où Thibaut, le bûcheron, l’avait entraînée pour la protéger des Goddons ? S’il avait pu l’emmener en Normandie, aurait-elle supporté aussi bien qu’Adelis cette éprouvante chevauchée ?… Reverrait-il Anne ? Si elle enfantait un gars – «  un gars qui soit à ma semblance » – celui-ci, devenu jouvenceau, pourrait-il s’accommoder d’une vie étroite et misérable ?
    Tandis que ces pensées se dissolvaient dans le plaisir d’avoir atteint son but, plaisir incomplet, austère et couleur de deuil, Ogier vit largement ouverte la porte de la grand-salle. Immobile, indécis sur le seuil, il retrouva d’un coup les murs gris d’autrefois, le haut plafond rayé de poutres vigoureuses et les dalles rouges, ternies. Il respira cette odeur tiède, complexe, de bois brûlé, de soupe, de suif, de fraîcheur moite. Aux angles du fond, de part et d’autre des fenêtres ouvertes sur la nuit verdâtre, il y avait toujours, pareils à des tentures, ces grands pans d’ombre veloutée sous lesquels luisaient les couvercles des coffres ; et juste devant lui, entre les épées en sautoir partiellement couvertes d’un écu portant les lions intégraux des Argouges, la tapisserie de Rouen, Raimondin et Mélusine.
    Sur le plateau de la table, au centre, quelques chandelles clignotaient, éclaboussant de leurs lueurs une douzaine de personnes dont les mouvements et les voix venaient de s’interrompre. À l’extrémité, devant l’âtre, il y avait toujours la haute chaire seigneuriale au dossier carré surmonté de deux fleurs de lys, aux accoudoirs larges, ornés d’une tête de lion. En face, dans un siège identique, une jeune fille s’était penchée, suffoquée, partagée entre le doute et la curiosité, livrée aux regards d’Ogier avec tant d’involontaire complaisance que, de stupeur et de merveillement, il ne put dire un mot ni faire un pas.
    « C’est elle », se dit-il, embrassant du regard, sous l’épaisse couronne de cheveux roux, la figure blême dont les

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