Les fontaines de sang
au-devant des ennemis. C’est Cocherel (16 mai), une bataille ardemment disputée où les Français, commandés par le Breton, viennent à bout des troupes de Jean III de Grailly, captal de Buch.
Parmi les prisonniers, Tristan a la désagréable surprise de reconnaître Thierry Champartel. L’oncle de Luciane a été contraint de se joindre aux Navarrais en compagnie d’Ogier d’Argouges qui, lui, a pu s’enfuir avant la bataille. Pour garantir leur présence au sein de l’armée du captal, les partisans de Charles de Navarre ont capturé Luciane et Guillemette, sa servante, dont le mari, Raymond, est mort à Cocherel.
Auprès d’un Guesclin que la victoire enivre et incite à la magnanimité, Tristan obtient la libération de Thierry. Il apprend que Luciane est recluse au château Ganne, près d’Athis-de-l’Orne et du hameau de Saint-Christophe, au lieu-dit la Pommeraye Hélas ! il ne peut d’emblée se porter au secours de la jouvencelle en compagnie de Thierry, Matthieu – un jeune garçon qu’il a pris à son service – Tiercelet et Paindorge : il doit rejoindre le roi et lui rendre compte, avant son sacre, des événements qui ont précédé la bataille, notamment à Vernon où monseigneur Charles lui avait enjoint d’épier les agissements des anciennes reines de France, Jeanne et Blanche, enclines à soutenir les prétentions de Charles de Navarre et décidées, sans doute, à accueillir en leur demeure Jean III de Grailly, lieutenant du Navarrais en Normandie 3 . Thibaut de La Rivière, un chevalier dévoué à Guesclin, Thomas l’Alemant, l’huissier d’armes du roi, et trois auxiliaires bretons participeront à cette chevauchée.
Rallier Cocherel à Reims en deux jours et deux nuits est un défi lancé à la raison : les deux cités sont distantes de plus de soixante lieues. Cependant, prévoyant la victoire, Thomas l’Alemant a eu soin de faire établir des relais de chevaux pour soutenir cette gageure.
Tristan, qui a décidé de laisser Malaquin, son cheval, à Pacy, est prêt à galoper, trotter, ambler, la mort dans l’âme, sur des montures d’emprunt…
PREMIÈRE PARTIE
UN PRINTEMPS D’ESPÉRANCE
I
La muraille apparut telle une fasce grise entre l’azur du ciel et le vert uniforme d’une forêt que le bout du chemin semblait percer d’une pointe acérée.
– Reims ! s’écria Thomas l’Alemant.
– Dieu merci, soupira Thibaut de La Rivière. Il était temps : j’ai des reins de plomb et l’estomac aussi vermoulu qu’une vieille planche… Et toi, Castelreng ?
– J’ai su m’accommoder de ces inconvénients.
Tristan eût été incapable d’expliquer pourquoi il mentait. Le fait qu’il n’aimât point ces hommes ne justifiait qu’incomplètement cette arrogance. Il souffrait lui aussi des reins et son estomac lui semblait aussi racorni et desséché que le cuir d’un carquois centenaire. Après deux jours et deux nuits de chevauchée, il apercevait enfin ces tours et ces courtines au pied desquelles, quatre ans plus tôt, Édouard III d’Angleterre et son armée avaient passé tout un hiver sans pouvoir en réussir la conquête.
– Par saint Mamert ! grommela Hénaff, un des Bretons dont le cheval bai souffrotait, j’espère qu’on va bien manger et potailler !
– Pourquoi saint Mamert ? demanda La Rivière qui, bien qu’au service de Guesclin, semblait plutôt un chevalier d’Artois ou de Bourgogne.
– Parce que c’est le saint qui guérit les coliques, précisa Paimpol, un blondin dont le rire fit s’ébaudir le troisième Breton : Lanvellec.
– Ils peuvent avoir faim, dit l’Alemant. Moi-même, j’ai la panse affligée. Rien mangé ou presque depuis notre venue à Cocherel voici maintenant cinq jours.
Afin de soulager leurs chevaux de relais, et bien que quelques Anglo-Navarrais se fussent dispersés, après la bataille, dans les campagnes à l’entour de Cocherel, ils avaient cheminé armés à la légère. Ils pouvaient s’en féliciter et louer la Providence d’avoir cheminé sans coup férir 4 .
– Nous atteindrons Reims avant la vesprée. Pour rien au monde, décida Tristan, je ne mettrais mon coursier au galop. Le sacre a lieu demain. Nous n’y sommes points conviés. Je bide 5 maintenant sans hâte, même si j’apporte au roi une nouvelle dont peut-être il ne se soucie plus.
L’huissier d’armes de Charles V s’était montré tout au long de la
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