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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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l’héritier de la Couronne aussi plein de vivacité. Ce grand dévot était « aux anges ». À l’exemple de Jésus transfiguré sur le mont Thabor, il se sublimait soudain aux abords d’une cité qui, longtemps avant son sacre, avait excité ses pensées. On eût dit qu’il assistait maintenant à la bataille : ses yeux, d’une placidité d’ordinaire affligeante, brillaient aux lueurs des haches et des épées forgées et ensanglantées par son imagination. Sur sa face toujours exsangue et blette apparaissaient quelques roseurs et plis d’énergie tandis que son lourd menton se relevait pour un port de tête exagérément royal. Il se tourna vers son épouse dont la tête ronde et pâle, sous une huve empoussiérée, débordait du fenestron de sa litière :
    – Oyez, ma dame !… Oyez !… Nous avons subjugué Navarre et les Anglais.
    Il usait à plaisir du pluriel de majesté tout en s’administrant ainsi un courage spécieux, et s’il se tenait bien en selle, c’était qu’il montait un rouan que l’âge avait rendu aussi docile qu’une haquenée. Le seul vent d’une lance lui eût fait perdre son assiette.
    – Nous célébrerons cela sitôt de retour à Paris. C’est, par saint Denis, indispensable.
    Le roi était vêtu de rouge des genoux jusqu’à un chaperon des plus simple dont le velours avait perdu sa fraîcheur 18 . Une couronne certainement légère, quoique d’une hauteur singulière, sommait ce couvre-chef. Il avait dû la commander du vivant de son père à un ciseleur discret. Il toucha, au-dessus de son front, la pointe d’un lis d’or. Sa grosse bouche dépoilée s’étira pour un nouveau sourire et ses yeux chassieux s’exorbitèrent tandis qu’il cherchait sur les visages de ses proches les reflets d’une jubilation comparable à la sienne :
    – Ah ! Messires… Ah ! Dames… Une belle liesse à Paris !
    Ces gens de Cour, Tristan les connaissait à peine. Et les méprisait. « Tandis que nous croisions le fer, ils cheminaient, béats, et sans doute ont-ils fait des haltes arrosées de bon vin et de fine mangeaille. »
    Tout à coup, Charles V eut un tressaillement :
    – Étiez-vous à Cocherel, Castelreng ?… Avez-vous ostoyé 19  ?
    –  Comme un preux.
    « Thomas l’Alemant accourt à ma rescousse. Que me demandera-t-il en échange ? »
    Tristan remercia l’huissier d’armes de la tête. Le roi, lui, s’inquiéta :
    – Qu’avez-vous vu à Vernon ?
    « Si tu supposes, roi, que je n’y étais pas, tu te fourvoies. »
    –  J’étais à Vernon, sire. Le captal de Buch, Pierre de Sacquenville et d’autres y furent conjouis (445) par les reines Jeanne et Blanche la veille de la bataille.
    – Jeanne… Jeanne ?… Quelle Jeanne ? s’enquit la reine avec une innocence feinte. La jeune ou la vieille (446)  ?
    Cette dernière question fut entortillée dans un ébaudissement dont deux dents gâtées empiraient la malveillance. Tristan ne l’avait entrevue qu’une fois, de loin. Il s’aperçut qu’elle avait tout à la fois l’air niais et hypocrite. À demi-désaccroupie, il semblait qu’elle se fût soulevée sur des étriers pour délester l’arrière-main d’une monture imaginaire. Elle souriait sans envie, soulageant, après son acrimonie, les douleurs d’un séant continûment posé sur une banquette un peu rude – en dépit des coussins – et malmené par les ornières, les nids de poule, les sursauts et les incartades des chevaux attelés à sa litière. Tout en conservant son rire dans les oreilles, Tristan songea que la royauté sanctifiée par la Sainte Ampoule n’ajouterait rien de bon à la médiocrité de cette créature. Au contraire, elle la dépouillerait des quelques vertus qu’on lui avait prêtées pour compenser, sans doute, l’onctueuse âpreté du caractère de son époux. Sa robe de cendal d’azur parfilé d’or annonçait sans malice des dépenses voluptuaires 20 à défaut de la volupté qu’on pouvait attendre d’une femme encore jeune. Comme pour son mari, la bienheureuse alchimie du règne avait commencé : on cesserait demain de vivre en bons bourgeois.
    – Avez-vous bien ouï ce dont ils ont parlé ?
    – Oui, sire… Rien qui n’ait été impertinent contre vous. Le captal était sûr d’obtenir la victoire.
    – Le fol ! Guesclin sera toujours le meilleur.
    Les chevaliers présents s’entre-regardèrent. Aucun doute : ils détestaient le Breton.
    – Était-ce la vieille

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