Les foulards rouges
haut-de-chausses et une chemise
d’assez fine dentelle en disant :
— Messieurs…
Le Clair de Lafitte adopta un ton de grande
froideur :
— Tu me vois fort désolé de t’interrompre
en ce qui semble ta principale activité… Mais comme ta belle, dans la pièce
voisine, doit tout écouter, passe quelque habit et viens nous rejoindre dans
cet estaminet proche qui a nom « Le Coq Hardi ».
— Mais certainement !
Le vide s’était fait
autour des trois gentilshommes, une clientèle qu’on ne voyait guère au « Coq
Hardi », mais l’arrivée de Fervac, qui vint directement à leur table, détendit
la lourde atmosphère.
Fervac fit signe au tavernier d’apporter du
vin, puis se présenta :
— Maximilien Fervac, sergent aux Gardes
Françaises.
Nissac regardant ostensiblement ailleurs, une
légère gêne s’installa et Frontignac, plus jeune que ses compagnons, entreprit
aussitôt de la dissiper :
— Baron de Frontignac… Vous connaissez le
baron Le Clair de Lafitte. Et voici notre chef, Loup de Pomonne, comte de
Nissac et lieutenant-général de l’artillerie de l’armée de monsieur le prince
de Condé.
Impressionné, Fervac ne sut que répondre. Au
reste, Nissac ne lui en laissa pas le temps :
— Vous êtes également proxénète ?
Fervac ne se démonta pas.
— La chose est dite bien promptement, monsieur
le comte. Manon, ma compagne, se donne les moyens de ne dépendre de personne. Ce
n’est point mon épouse qui se vend aux vieux bourgeois mais une femme que j’aime
et qui se donne à moi, peut-être… Peut-être par amour. Qui peut avoir à redire
là-dessus ?
Un léger sourire se dessina sur le visage dur
et osseux de Nissac :
— C’est plaisamment répondu, sergent. Vous
serez donc des nôtres. Vous servirez le royaume en un moment où il court grands
dangers, mais le royaume saura s’en souvenir un jour. Il est possible, cependant,
que les choses ne se passent point ainsi.
Le tavernier apporta un pichet de vin qu’il
déposa devant Fervac.
Nissac, qui s’était tu, demeura un instant
rêveur, suivant du regard un homme qui buvait seul tandis que des larmes
coulaient sur ses joues mal rasées. Nissac se demanda quel chagrin le
bouleversait mais fut rappelé à la réalité par un toussotement poli de
Frontignac.
Il retrouva aussitôt le fil de sa pensée et
observa assez durement Fervac.
— L’alternative est la suivante : vous
serez pris par une foule déchaînée, hurlante et débordante de violence. Vous
serez roué de coups, lynché, brûlé vif, pendu à une pile du Pont-Neuf. Votre
corps sera balancé dans les fossés de la ville où il pourrira en compagnie des
nôtres, ce qui n’est point consolation.
Fervac secoua lentement la tête avec un
sourire incrédule sur les lèvres.
— Moi, c’est fort probable. Mais pas des
corps de barons, pas celui d’un comte qui est général de monsieur le prince de
Condé. On ne laisse pas blanchir leurs os aux fossés des remparts.
La voix de Nissac se fit plus coupante :
— Vous ignorez de quoi vous parlez. De ma
vie, en le royaume, je n’ai vu si grandes haines et ambitions si démesurées. À
voir tout cela, j’en jurerais : demain, plus rien ne sera sacré.
Fervac réfléchit longuement puis répondit :
— Je serai tout de même des vôtres.
— Alors nous voilà vraiment quatre !
dit joyeusement Le Clair de Lafitte en se servant du vin.
— Cinq ! répliqua Nissac et, comme
ses compagnons le regardaient avec mine de grande surprise, il expliqua d’un
air évasif : celui-là, qui est déjà des nôtres, peut-être ne le
verrez-vous jamais. Le cardinal lui-même ignore qui il est. Il n’empêche, c’est,
j’en suis certain, notre plus puissant allié.
Revenu de son étonnement, Le Clair de Lafitte
eut un petit geste découragé.
— Va pour le gentilhomme qui joue au pur
esprit. Mais quatre ou cinq, c’est encore bien peu pour un groupe capable d’une
forte riposte aux Frondeurs et je crois notre troupe hélas au complet.
— Peut-être pas !… murmura Fervac.
— Que voulez-vous dire ? questionna
Frontignac qui ne demandait visiblement qu’à être soulagé.
— Les prisons ! Il reste les prisons !
Il y a de tout, en prison. À l’instant où l’on allait me pendre, au lieu d’être
libéré, j’aurais pu être envoyé en ces lieux et serais-je si différent de celui
que vous comptez parmi les vôtres ?
— Soyez plus clair ! ordonna le
comte
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