Les héritiers
lui donnaient une allure d’avant-guerre.
— Monsieur Dubuc, commença-t-il, je suis heureux de vous voir.
— Moi aussi. D’après la rumeur, vous êtes le premier responsable du passage de Lapointe dans Québec-Est.
— Quand le sujet de la succession de sir Wilfrid a commencé { être discuté, je n’y ai pas vraiment porté attention. Mais ensuite Borden a évoqué la possibilité de récupérer le comté en y présentant une vedette. .
— Cela ne se peut pas, interrompit le député provinc ial Le gouvernement d’union ne pouvait pas envoyer l’un de ses rares membres éminents de langue française à la boucherie.
— Surtout, renchérit l’autre, Lavergne a voulu se présenter. Il fallait absolument lui donner une leçon. Alors oui, j’ai poussé dans le dos d’Ernest pour le convaincre.
Marie se tenait un peu { l’écart, intimidée. Paul la prit par la taille en disant :
— Je vous présente ma femme, Marie.
— Madame, dit l’homme en tendant la main.
— Monsieur Jacques Bureau est député de Trois-Rivières depuis 1900. Il a été ministre dans divers cabinets de Wilfrid Laurier.
Après cela, le trio avait peu à se dire. Heureusement, l’arrivée du responsable de l’agitation des derniers jours força Bureau à quitter le couple. Dubuc entraîna sa compagne vers les sièges, prit place { côté d’elle.
— Selon toi, cet homme est responsable de la venue de Lapointe à Québec ?
— Il lui a servi de mentor pendant des années, à Ottawa.
Il a fait en sorte de lui présenter tout le monde. Alors oui, si Lapointe est aujourd’hui assez populaire pour passer dans cet autre comté, il lui en est redevable. Il lui a même appris l’anglais.
— Es-tu sérieux ?
— Bureau a vécu aux Etats-Unis. De son côté, Ernest a été éduqué à Rimouski et à Québec. A son arrivée dans la capitale fédérale, il ne pouvait même pas demander où se trouvaient les toilettes en anglais.
Le député n’exagérait pas. Pendant des années, l’aîné avait repris la prononciation de son cadet à toutes les occasions.
— . . A-t-il été un bon élève ?
— Selon ce qu’on raconte, il peut maintenant avoir le dessus dans n’importe quel débat avec les ministres de Borden.
Marie regardait Ernest Lapointe serrer les mains à l’avant de l’estrade. Avant de quitter les lieux, le politicien avait dit quelques mots à toutes les personnes présentes. Il s’agissait d’un homme très grand, corpulent, devenu chauve au fil des ans. Au début de sa carrière, il arborait souvent un béret d’étudiant posé sur des cheveux bouclés. Cette allure juvénile cédait la place { celle d’un homme sérieux et efficace.
Elle contempla ensuite l’épouse du politicien, Emma.
Elles s’étaient croisées quelques années plus tôt, lors de sa première visite à Rivière-du-Loup. A l’époque, cette femme lui avait semblé timide, effacée. Aujourd’hui, devenue { son tour compagne d’un député, elle reconnaissait sa grande efficacité politique.
En service commandé, Emma Pratte passait de l’un {
l’autre avec aisance, disait quelques mots, sans doute toujours les mêmes, attentive à ne jamais porter ombrage à son illustre époux.
Après quelques minutes de ce manège, les nouveaux venus, toujours escortés par Bureau, montèrent sur l’estrade, gagnèrent leur place sur les sièges. Il avait été convenu que le député provincial devait agir comme maître de cette cérémonie d’adieu. En conséquence, Paul s’avança { l’avant de la scène.
— On m’a confié aujourd’hui une tâche { la fois triste et joyeuse, commença-t-il. Nous devons saluer pour la dernière fois le député de Kamouraska, notre ami à tous.
D’un autre côté, nous sommes reconnaissants de le voir se dévouer afin de garder au sein du Parti libéral le comté de Québec-Est, celui du plus grand d’entre nous.
Les applaudissements de la foule témoignèrent que personne ne lui en voulait trop pour cette infidélité.
— Mesdames et messieurs, conclut le maître de cérémonie, le nouveau député de Québec-Est.
— Vous devez être là depuis une heure environ, déclara le candidat, puisque je vous ai fait un peu attendre. Je m’en excuse. Pendant ce laps de temps, la dette du Canada s’est accrue de quatre-vingt-dix mille dollars.
L’homme s’arrêta afin de laisser le chiffre pénétrer toutes les imaginations. Pendant toute une vie, ces gens ne gagnaient pas la
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