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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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moitié de ce montant.
    — Dans une journée, cela donne deux millions de dollars.
    Chaque jour où nous laissons Robert Borden au pouvoir, le Canada s’appauvrit d’une somme colossale.
    Une autre pause permit à tous les badauds de se convaincre que seule la personne { l’avant de l’estrade serait capable d’arrêter un jour cette mortelle hémorragie.
    — Maintenant, vous entendez la nouvelle de ma bouche : je serai candidat dans Québec-Est. J’éprouve un grand chagrin { l’idée de vous quitter et je serai toujours reconnaissant à chacun d’entre vous pour ces années où j’ai eu l’honneur de vous représenter { Ottawa. Mais aujourd’hui, notre tâche est grande. Elle consiste à sauvegarder les droits de tous, à ériger sur cette terre canadienne une muraille contre les préjugés et à empêcher les ravages de la malhonnêteté dans
    l’administration
    publique.
    Nous
    essaierons
    de
    faire notre part, et c’est pour la défense de la mémoire sacrée de Laurier que je consens à porter la bannière que seule la mort lui a arrachée des mains. Je viens venger la mémoire de Laurier.
    La fin arracha encore des cris enthousiastes à la foule.
    Marie se demanda bien à quels outrages la mémoire du grand homme avait été soumise. Chacun dans cette multitude devait pouvoir en aligner plusieurs, à en juger par cette réaction.
    Lapointe regagna la chaise placée à côté de celle de son épouse, alors que Jacques Bureau prenait la parole à son tour pour fustiger le gouvernement Borden. A la fin du discours, les trois députés se dispersèrent dans la foule.
    Emma Pratte préféra d’abord rester { sa place. Après un moment, elle demanda à sa voisine :

    — Votre mari n’a pas exprimé le désir de se présenter au Parlement d’Ottawa, je pense. Il y aura probablement une élection complémentaire dans Kamouraska au début de l’année prochaine.
    — En réalité, il n’a jamais abordé la question avec moi, même si cette idée doit lui faire envie. Comme nous venons tout juste de nous marier, je suppose qu’il préfère ne rien changer à notre nouveau mode de vie.
    — Vous avez de la chance, vous habitez tout près de l’Assemblée législative. Je ne suis pas très heureuse { l’idée de déménager { Ottawa. Mais maintenant, je n’ai plus le choix.
    Pour la première fois, la complice de tous les jours, celle qui maintenait intacts les bons sentiments des électeurs de Kamouraska { l’égard de son mari toujours absent, exprimait sa frustration devant le bouleversement de son existence.
    Elle se reprit bien vite :
    — Mais que ne ferions-nous pas pour eux, n’est-ce pas?
    Elle parlait des hommes de carrière. Intérieurement, Marie se demanda si elle montrerait autant de souplesse, dans le cas où Paul déciderait de faire le saut dans la capitale fédérale. Sans doute. Maintenant, elle n’avait plus vraiment le choix. Leur vie se trouvait irrémédiablement réunie.
    — Allons-nous rejoindre ces messieurs ?
    Madame Lapointe proposait cela sans plaisir. Sa coin pagne se demanda un moment si sa présence se révélerait utile ou dommageable. Elle se leva pourtant, descendit de l’estrade pour fendre la foule afin de rejoindre Paul.
    Machinalement, elle trouva les phrases toutes faites, celles utilisées tous les jours à la boutique pour accueillir les clients. Finalement, vendre une robe ou un politicien ne semblait pas très différent.

    Quand elle se trouva près de son époux, celui-ci saisit sa main avec émotion, fier de la trouver à ses côtés.
    — Monsieur Demers me disait qu’il serait bientôt grand-père.
    — Oh ! Quelle bonne nouvelle. Je vous félicite, monsieur.
    Machinalement, elle tendit la main, serra celle du brave homme.
    — Je suis un peu effrayée du jour où l’un de mes enfants m’apprendra la même chose, continua-t-elle.
    — On se dit cela avant, mais quand arrive la nouvelle, c’est autre chose.
    En rentrant chez lui, cet électeur confierait à sa femme :
    «Elle est bien, la nouvelle flamme du député. Elle paraît moins hautaine que l’autre. » Sans le savoir, la marchande devenait une travailleuse d’élection.
    Au lieu de revenir tout de suite à Québec, le couple Dubuc alla passer la nuit à Rivière-du-Loup. Se montrer à la messe dominicale une fois de temps en temps servait à cultiver les fidélités.
    — Je te remercie pour hier après-midi, murmura Paul dans le train.
    — Crois-tu que j’ai été utile ?
    —

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