Les héritiers
N’en doute pas une seconde.
Elle saisit sa main, cala son épaule contre la sienne, satisfaite.
Chapitre 26
En montant le grand escalier du magasin PICARD deux marches à la fois, Mathieu affichait un sourire amusé. Il fréquentait désormais ces lieux avec une étonnante régularité.
S’ils le mettaient mal { l’aise auparavant, maintenant il éprouvait l’étrange sensation de se trouver chez lui.
— Alors, prête à venir accomplir ton devoir de citoyenne pour la première fois? demanda-t-il à Flavie en se tenant devant son bureau.
— Si je ne suis pas prête, tant pis, car cela doit se faire aujourd’hui, n’est-ce pas ? rétorqua la jolie femme en levant les yeux.
Elle quitta son siège sur ces mots, passa la tête dans la porte du bureau de son employeur.
— Monsieur Picard, je peux partir tout de suite pour aller voter? Nous avons convenu. .
— Oui, oui. Mais ai-je bien entendu la voix de mon cousin ?
— En effet. Il va m’accompagner.
— Je viens le saluer.
Peu après, Edouard tendait la main au visiteur.
— Préfères-tu t’assurer qu’elle votera du bon bord ?
—1 Même si cette élection offre un choix limité, je ne me mêlerai certainement pas de ses affaires. Flavie me disait avoir une inclination particulière pour les habitants de Limoilou.
L’autre demeura un peu perplexe. Le candidat indépendant, François-Xavier Galibois, venait de ce quartier.
— L’homme ne peut rien apporter..
— Ne vous donnez pas la peine de répondre, intervint Flavie.
Vous voyez bien que Mathieu vous fait marcher. Cela doit être l’humour
des
carabins.
On
s’y
fait
{
la
longue.
— Que voulez-vous, mademoiselle, je ne suis pas allé à l’université, je ne connais pas. .
Le marchand adoptait un ton moqueur, mais cela sonnait faux. La jeune fille alla récupérer son imperméable à un crochet tout en enchaînant :
— Nous irons prendre une bouchée ensuite. Je reviendrai à mon poste dès que possible.
— Je vous fais confiance. De toute façon. .
— Je resterai ce soir afin de compléter les tâches en suspens, je sais.
La jeune femme se révélait efficace, attentive à bien boucler tous les dossiers, alors, le patron consentait sans mal à ses rares absences. Il reporta son attention sur Mathieu pour demander :
— Et toi, si tu votais dans Québec-Est, pencherais-tu pour le candidat de Limoilou ?
— Les prises de position de Lapointe sur le traité de Versailles et la présence du Canada à la Société des Nations me paraissent très raisonnables, et celles du gouvernement Borden un peu trop alambiquées pour inspirer confiance.
Toutefois, je pense aussi que Flavie est une grande fille capable de se faire une idée toute seule sur les candidats en lice.
Anodine, la réflexion écorcha tout de même un peu l’amour-propre de son cousin. Depuis trois semaines au moins, non seulement il incitait ses collègues de la rue Saint-Joseph à faire voter leurs employés pour les libéraux, mais il s’appesantissait aussi sur les siens propres.
— Tu montres une plus belle ouverture d’esprit que certains de nos compatriotes.
— J’ai vu le délire d’Henri Bourassa sur le sujet. Cet homme est un parfait idiot. Aujourd’hui, Irène Parlby siège au cabinet de l’Alberta, et elle ne paraît pas moins efficace que les autres.
Ce genre de discussions, tout comme celles portant sur la prohibition, devait se répéter dans tous les bureaux, tous les fumoirs, tous les endroits en fait où les hommes se retrouvaient entre eux.
— Mais comme je ne souhaite pas que cette jeune darne termine trop tard en soirée, conclut Mathieu, je l’escorte vers son devoir de citoyenne.
— Je vous souhaite donc un excellent appétit.
Le marchand regarda le couple quitter les locaux administratifs. Un long moment, il imagina que son cousin cherchait dans la Basse-Ville une amie complaisante. Les étudiants de l’Université Laval venaient souvent s’encanailler, vivre leur «vie de jeunesse» dans Saint-Roch ou Saint-Sauveur, pour chercher ensuite une union plus convenable chez les bourgeoises, une fois leur diplôme en poche.
— Non, maugréa-t-il, celui-là montre un sens du devoir trop grand. Je parie qu’il la fréquente pour le bon motif.
La sonnerie du téléphone le tira de ses réflexions. Tout de même, l’absence de sa secrétaire revêtait un mauvais côté. Elle ne devrait pas en abuser.
Quand Flavie se promenait { l’intérieur du commerce en
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