Les héritiers
minutes plus tard, devant la pension de la rue Saint-François, Mathieu se pencha sur elle pour l’embrasser. Elle s’abandonna un court instant. Quand la main masculine se glissa sous son imperméable, elle se raidit et déclara :
— Je dois aller dormir. C’est vrai, tu sais, demain la journée sera longue.
— Bien sûr, Flavie. Bonne nuit.
Comme il esquissait le geste de se pencher de nouveau, elle tourna les talons en disant :
— Bonne nuit.
*****
Comme d’habitude, Mathieu se présenta chez sa mère ce dimanche soir un peu avant six heures, de façon à passer à table peu après. Il possédait toujours la clé du commerce, ce qui l’autorisait { entrer sans que personne ne descende les deux étages pour lui ouvrir. Par égard pour sa nouvelle famille, il prenait toutefois la précaution de frapper avant de pénétrer dans l’appartement du dernier niveau.
La porte s’ouvrit sur Amélie, toujours aussi heureuse de le voir.
— Comment se portent tes études? demanda-t-elle en offrant sa joue pour une bise.
— Les études vont bien. Et comment apprécies-tu la vente de rubans ?
— J’adore.
— Il n’y a que des dames.
Venant de sa part, elle prenait ce genre de remarque avec un sourire.
— Ah ! Pas seulement. Des hommes viennent aussi.
— Maman devrait avoir un rayon de chapeaux masculins, juste pour toi.
Elle lui donna un coup sur le bras pour son impertinence, puis elle souffla avec une grimace :
— Il est encore là !
Elle voulait dire Gérard. L’employé de banque fréquentait maintenant le dernier étage de la boutique ALFRED
avec une rassurante régularité. Rassurante pour lui, en tout cas.
— Il va te faire le meilleur beau-frère du monde.
— Quelle horreur ! Je me demande ce qu’elle lui trouve.
— Lui ne va pas courir le monde pour de mauvaises raisons.
— Mais tu es allé { la guerre, c’est la raison la plus noble.
Mathieu contempla longuement la jeune femme, découvrant chez elle une gravité insoupçonnée jusque-là. Sous des airs un peu. . légers, malgré des enthousiasmes trop volontiers exprimés, elle devait être du genre { s’engager de tout son cœur, sans jamais ensuite remettre en cause sa foi. Cela le troubla un peu. Il préféra conserver le ton de la plaisanterie :
— Si tu veux, je lui demanderai s’il a un jeune collègue à te présenter.
— Ne fais jamais ça. Je mourrais d’ennui avec un type de ce genre. Mais toi, pourquoi n’invites-tu pas ton amie à venir ?
— Mais Françoise. .
— Oublie ses états d’âme. J’aimerais avoir quelqu’un d’un peu gai { la table.
Comme ils s’attardaient depuis un moment déj{, Marie passa la tête par la porte du salon pour demander :
— C’est bien toi, Mathieu ?
— Moi-même, comme tous les dimanches.
— Tu ne viens pas nous rejoindre ?
— Je parle un peu avec ma jolie demi-sœur.
A ces mots, Amélie lui adressa un sourire reconnaissant.
L’idée d’avoir un grand frère lui faisait très plaisir.
— Tout de même, ne nous prive pas de ta compagnie trop longtemps.
La mère disparut sur ces mots. Quand sa jeune compagne fit mine de se diriger vers le salon, Mathieu demanda :
— Tu trouves vraiment que Flavie est une personne agréable ?
— Toi aussi, j’espère, puisque tu la fréquentes depuis quelque temps.
— Mais toi ?
— Elle est gentille, vive, et elle possède un joli sourire, de la bouche jusqu’ici.
Elle montrait le coin de ses yeux. C’était vrai, les émotions de la secrétaire éclairaient tout son visage. Quand ils pénétrèrent dans le salon, toutes les personnes présentes se levèrent pour l’échange des salutations. Gérard Langlois affectait toujours un air de vainqueur en lui serrant la main.
Si cette attitude laissait le fils de la maison totalement indifférent, cela avait le don de mettre Françoise un peu mal { l’aise.
— As-tu passé une bonne semaine? demanda-t-elle.
— Oui. Enfin, rien de vraiment passionnant: des cours la matinée, le bureau du procureur général l’après-midi, mais je désirais retrouver ce genre de routine. Je ne me plains donc pas. Et toi ?
— C’est un peu la même chose. Les journées se suivent au magasin, toujours un peu semblables.
Quand le jeune homme serra la main de Paul Dubuc, celui-ci demanda :
— Tu ne regrettes pas d’avoir accepté cet emploi, j’es-père. Ce n’est pas très prestigieux, je le sais bien.
— Au contraire. L’été prochain, je connaîtrai tous
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