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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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comme
    lors
    du
    scrutin
    provincial
    de
    l’été
    dernier.
    Avec le règlement de la question des insoumis qui traînait en longueur,
    le
    spectre
    de
    la
    conscription
    ruinerait
    encore toutes les chances des conservateurs.
    — Voulez-vous un autre thé? demanda Edouard en voyant un serveur s’approcher.
    — Non merci, sinon je passerai la nuit à pisser.
    — J’ai autre chose de plus. . indiqué dans le coffre de mon auto.
    — Malheureusement, je dois refuser. Si les journaux rapportaient demain que le nouveau député de Québec-Est a écorché la loi de prohibition le jour de son élection, cela ferait jaser de l’Atlantique au Pacifique.
    La ville de Québec se trouvait doublement «sèche », car elle se soumettait encore à la loi Scott, après le référendum tenu pendant la guerre.
    — Un médecin m’a prescrit le whisky comme remontant. Je garde en tout temps son bout de papier sur moi, comme mon exemption pendant la guerre.
    — Je refuse tout de même, dit le politicien avec une pointe de regret dans la voix. Nous vivons dans un monde absurde, n’est-ce pas ? Devoir consulter un médecin complaisant afin de boire un verre.

    — Selon ses fils, Taschereau cherche une solution à ce problème, une mesure susceptible de ne pas soulever la hargne des grenouilles de bénitier.
    — S’il réussit ce tour de force, il méritera de succéder à Gouin dans le fauteuil de premier ministre de la province.
    Édouard leva sa tasse et fit mine de boire à cette excellente nouvelle. L’instant d’après, il se débarrassait du thé devenu tiède sur le plateau d’un serveur.
    Depuis l’entrée de la salle, un homme lui adressait des grands signes.
    — Venez, il doit avoir les derniers résultats.
    Tous les deux se rapprochèrent du « travailleur d’élection ».
    Celui-ci venait de faire le tour des bureaux de scrutin.
    Après avoir salué le nouveau député, il porta un bout de papier près de ses yeux pour lire :
    — Vous avez une avance de trois mille neuf cent trente-neuf voix, monsieur Lapointe.
    L’autre paru un peu déçu, comme s’il escomptait dépasser les résultats de Laurier.
    — Galibois a-t-il concédé la défaite ?
    — En quelque sorte. Les poils n’étaient pas encore fermés quand ceci a commencé à circuler dans les rues.
    L’homme chercha dans sa poche pour retrouver une feuille de papier pliée en quatre, afin de la remettre à son interlocuteur. Le politicien lut rapidement, alors qu’Edouard se penchait en vain pour faire de même.
    — Quel crétin, lâcha tout bas Lapointe. Il affirme que j’ai dépensé soixante-quinze mille dollars pour acheter des voix, en plus de faire défiler des personnes de l’extérieur du comté pour les faire voter pour moi.
    L’élection s’était révélée coûteuse, mais elle n’avait pas nécessité des expédients de ce genre.
    — Quelqu’un lui souffle peut-être ces mots { l’oreille, glissa Edouard.
    — Lavergne ?
    La grimace du marchand valait une réponse.
    — Oublions ce mauvais coucheur et allons remercier les électeurs.
    Très vite, une véritable procession se forma dans la rue Saint-Joseph.

    *****
    La maison de Louis Létourneau, un citoyen éminent de la Basse-Ville, se trouvait dans la rue Saint-François. Cela donnait un trajet beaucoup trop bref au goût des organisateurs libéraux. Aussi, puisque le cortège triomphal se formait devant l’hôtel
    Saint-Roch,
    il
    fut
    rapidement
    convenu
    de marcher vers l’ouest dans Saint-Joseph, d’emprunter Langelier vers le nord et de revenir ensuite vers l’est. Le but était de parcourir un long rectangle.
    Ernest Lapointe, tête nue, venait au premier rang en compagnie d’Henri Lavigueur, de Charles Chubby Power et de tous les députés fédéraux et provinciaux de la région puis, au second rang, suivaient les notables de la circonscription, des marchands et des industriels parmi les plus importants. Parmi eux se trouvaient les candidats assez généreux pour avoir cédé leur place au gagnant, Arthur Lachance et Oscar Drouin. Derrière, les militants formaient une masse compacte.
    Aucun des habitants des quartiers Saint-Roch et Saint-Sauveur ne pouvait ignorer l’heureux résultat, car tout ce monde entonnait le 0 Canada de bon cœur. Plusieurs d’entre eux ouvrirent leurs fenêtres au passage du cortège afin de joindre leur voix à celles des manifestants. La population paraissait unanime à fêter cette victoire.
    Louis-Alexandre Taschereau

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