Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
Les traits du visage, à l’heure de la fatigue du soir, avaient perdu leur force. Elle devinait dans la demi-obscurité les cernes sous les yeux, ces tavelures de la peau apparues depuis quelques années. Elle fut émue de cette faiblesse.
    — Tu es utile, dit-elle avec conviction.
    Il lui embrassa la paume, resta ainsi, les lèvres dans sa main, et elle se mit à lui caresser la nuque, ces quelques cheveux gris, apaisée par le mouvement instinctif de sa main et ce qu’il faisait renaître en elle de la douceur passée.
    — Il faut rentrer, dit-elle.
    Il soupira, se redressa et ils marchèrent en se tenant par l’épaule, comme autrefois, jusqu’au mas.
    Dans le salon, Serge décida d’allumer un feu. Il cassait les branches, froissait le papier avec une joie puérile. Puis il vint s’asseoir près de Sarah. Sa lassitude avait disparu, il était repris par l’action, le besoin de convaincre.
    « … Rares sont ceux qui mesurent les obstacles que nous devons contourner, disait-il. Nathalia – il prenait la main de Sarah – toi aussi j’en suis sûr, vous me condamnez. La paix, la paix en Algérie, les principes moraux, etc., dans l’absolu vous avez raison, Jeanson et son réseau d’aide aux Algériens, bravo sur le plan philosophique, mais la politique ce n’est pas la philosophie, ce sont des hommes qui changent, avec qui il faut ruser, mais oui, même si cela te choque… »
    Elle s’éloignait à nouveau de lui. Elle ne pouvait partager l’ardeur de Serge. La politique n’était pour Sarah qu’un jeu de colin-maillard où celui qui a les yeux bandés crie qu’il voit.
    — On se perd à ruser, murmura-t-elle.
    Mais il n’entendit pas, à peine eut-il le soupçon qu’elle avait parlé. Il hésitait un instant, reprenait :
    — Letel, par exemple, tu te souviens de Letel ? Il est passé dans le camp des ultras, soutien à l’Algérie française, compromission avec ceux qui complotent. Pourquoi ? Conviction, ambition ? Il nous a lâchés, habilement, prudemment, sans trop s’engager, un pied sur chaque case, suivant le moment, l’une ou l’autre.
    — Je me couche, dit Sarah en se levant rapidement.
    Elle craignait tout à coup qu’il ne la suive, qu’après des années…
    Oui, des années qu’ils ne dormaient plus ensemble, qu’elle ne connaissait plus le bruit irrégulier de la respiration de Serge, la chaleur rassurante qui vient du corps de l’homme. Il avait fallu qu’elle s’habitue à cette part glacée du lit, à sa gauche, à cette sensation quand elle se couchait d’être enfermée, loin des autres, sommeil comme une mort qui sépare, de là sans doute depuis qu’elle dormait seule, ces insomnies, ce désir inconscient qui la tenait en éveil de guetter le vent, le piétinement des rats dans le grenier, la voix humaine des chats qui hurlaient dans la campagne, ou l’aboiement rageur d’un chien que l’écho multipliait. Elle avait peur pourtant que Serge, ce soir, n’entre avec elle dans cette intimité désolée de la nuit solitaire, qu’il ne la voie, telle qu’elle se découvrait chaque matin, enlaidie, et qu’elle ne soit contrainte en le touchant de parcourir tout ce temps écoulé depuis leur première étreinte.
    Serge se leva.
    — Il n’est pas impossible que De Gaulle me confie les Affaires algériennes, dans un ou deux mois ; il m’a demandé d’étudier les principaux dossiers. Rien n’est officiel naturellement.
    Elle était rassurée qu’il continue ainsi de parler. Elle s’écartait, atteignait l’escalier alors qu’il était encore devant la cheminée.
    — Le ministère le plus difficile, dit-elle. Dangereux même.
    Il ne répondit pas, le visage grave, une expression de désespoir qui bouleversa Sarah. Elle demeura immobile sur la première marche.
    — Vous ne voulez pas de moi, murmura-t-il.
    Elle ne pouvait parler, l’émotion comme une douleur à la base du cou. Elle avait envie de pleurer. Il avançait vers elle qui ne bougeait pas.
    — Sarah, dit-il, restons ensemble.
    Il était devant elle. Elle ne voyait plus que ses yeux. Il lui mit les deux mains sur les épaules. Elle voulait dire non, parce qu’elle savait que la perte, après, serait trop profonde, qu’elle aurait le flanc rongé par la place vide dans le lit, car Serge repartait demain. Mais les corps se souviennent. Elle était comme la forme creuse qui attendait Serge, elle ne pouvait rien contre cela, que l’accueillir, quand il l’embrassait,

Weitere Kostenlose Bücher