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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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l’ail et du basilic, je verse l’huile verte et sirupeuse, âpre. Sur les assiettes blanches le rouge des fruits est vivant et pulpeux. Je bois du vin rosé. Nous parlons plus fort, je ris.
    J’ai su cette nuit-là que j’échappais enfin à la lumière glacée de notre hiver.
    Je n’arrivais pas à m’endormir. J’étais nue sur mon lit, les fenêtres ouvertes, j’aimais le parfum doux de mon corps. Je sentais sous mes doigts dans les plis de ma peau la sueur. Des mois que je ne pensais pas au plaisir et brutalement, le besoin avide et joyeux, une frénésie, mon corps qui se soulevait, se fendait, mes doigts comme des sexes d’homme et l’envie de crier quand je m’ouvrais à cette secousse retenue.
    Puis le calme serein, sans remords, comme si je venais de célébrer des retrouvailles avec moi, de m’assurer que j’avais choisi le côté de la vie.
    Le matin, j’ai su que je voulais quitter ce lieu de mon enfance. Je sortais du sommeil comme d’une eau profonde, au large, quand à regarder autour de soi, le bleu, la houle donnent l’ivresse et la peur. Je poussai les volets. Sous le soleil haut, diffus, l’horizon entre les caps était voilé. Le paysage était devenu miroir. Je l’avais tant de fois observé sous le soleil bulbeux des aurores et le violet des crépuscules que j’en savais toutes les variations. Il était comme mon corps étendu que ma main familière reconnaissait. J’avais besoin d’aller au-delà de mon regard. Je voulais que quelqu’un m’invente, ailleurs, me féconde et que basculent ces collines.
    J’ai dû être odieuse comme une mouche prisonnière qui se heurte, irritante, aux vitres de la chambre. J’ai dû crier qu’il faisait chaud, étouffant, que je n’avais rien à lire, que l’ennui me prenait à la gorge. Sarah me prêtait la voiture, m’invitait à sortir. Mais je suis de celles qui refusent les calmants. Je haussais les épaules. Je retrouvai la lettre – la seule lettre – de Claude. Des phrases sans suite, pas d’adresse. Je la déchirai en petits rectangles que je jetai au vent sur l’aire et de les voir, taches blanches dispersées, me donnait envie de pleurer.
    Souvent, j’allais vers Sarah, je m’asseyais près d’elle sur la terre du jardin. Elle avait des gestes précis et obstinés. Je disais :
    « … Je suis méchante, pardonne-moi. »
    Elle souriait.
    « On se fait du thé ? »
    J’échappais pour quelques minutes à ma hargne. Nous nous asseyions à l’ombre. Le thé à la menthe, brûlant, rafraîchissait. Sarah allumait une cigarette, me regardait ironique et tendre, mais au moment où elle commençait à me parler, je m’enfuyais sous un prétexte ou un autre. J’entrais dans l’obscurité du mas. J’avais besoin de la spirale trapue de l’escalier, du plafond bas de la grande salle, de l’odeur même, comme si je voulais m’enfoncer dans mon enfance, m’y perdre au moment où je désirais si fort la quitter.
    Quand je redescendais, Sarah était à nouveau au jardin et je lui reprochais son inattention. J’entendais le murmure des abeilles voletant dans les boules de lavande. Je jetais mon livre sur la table, je marchais, mais l’herbe sous les oliviers avait jauni. Je n’aimais plus sauter de planche en planche. Je rentrais en sueur.
    La nuit, je ne réussissais plus à atteindre l’opaque innocence du plaisir. Je percevais chaque frôlement de mes doigts sur la peau. Je restais à la lisière, la bouche sèche. Il faisait chaud.
    Peut-être ai-je traversé tout l’été ainsi ? Peut-être avais-je seulement besoin d’un amant ? Je me souviens qu’à plusieurs reprises j’ai eu la tentation de téléphoner à Laurence Castellan. Je rêvais quelques minutes. Elle m’invitait, nous descendions à Cannes. Plage, présentations, bar, dîner, coucherie. J’employais ce mot pour me dégriser. J’étais – je suis toujours je crois – incapable de rechercher lucidement, d’organiser la rencontre avec un homme. Je sais bien que je suis hypocrite. Si je voulais quitter le Mas Cordelier et Cabris, c’était pour vivre, donc pour aimer. Mais je n’ai jamais clairement choisi un homme pour faire l’amour avec lui. J’ai besoin du halo de la surprise. Je ne téléphonai donc pas à Laurence. Trop aisé de prévoir ce qui allait survenir. Je préférai l’ennui, ma colère.
    Je sentais que Sarah m’observait. Je me donnais des prétextes : il fallait que je reste pour elle. Je savais que

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