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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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tout à coup de glisser jusqu’au bas des marches. J’imaginais en quelques secondes des scènes tragiques, ma tête heurtant le palier de marbre, un attroupement autour de moi. Je m’arrêtais, je reprenais mon souffle et quand je sonnais à la porte de Pierre Monod, j’étais à nouveau calme.
    Je crois que je ne voulais pas savoir ce que j’espérais. Je l’ai dit déjà, je ne me suis jamais préparée à ce qu’un homme devienne mon amant. Pourtant, quand, de si loin – quinze ans, quinze ans – j’aperçois cette jeune étudiante, moi, assise près de Pierre sur sa terrasse je n’ai plus aucune illusion sur les stratégies obscures de ma séduction.
    Il me tutoyait. Nous ne parlions que de grande politique. Du gaullisme comme dictature du capital, des damnés de la terre ces foules démunies qui s’élançaient à l’assaut de l’Occident industriel. Pierre, même chez lui, pour moi seule, faisait un cours. Il se penchait vers moi, et j’exagérais encore mon détachement et mon indifférence pour qu’il s’avance plus près, qu’il cherche à me convaincre. Je me faisais étendue d’eau calme pour qu’il y plonge, sans crainte. Castro – « Fidel, Fidel », disait-il – changeait le sens de l’histoire en Amérique latine.
    « … Un continent tout entier, Nathalia, bascule et ça, à terme, c’est la fin du capitalisme nord-américain, donc du capitalisme mondial. »
    Je ne répondais pas, sensible seulement à son enthousiasme. Il s’inquiétait de mon attitude, s’interrompait : « … Veux-tu boire ? » demandait-il.
    Je secouais la tête, mais il se levait quand même, revenait avec deux verres et une brochure qu’il me tendait :
    « … Tu devrais lire ça, disait-il, Lee Lou Ching analyse parfaitement la situation mondiale, les contradictions, le rôle des campagnes, l’Occident comme une ville encerclée par la révolution paysanne. Lee Lou Ching… »
    Quels que soient les mots, ils peuvent, entre un homme et une femme, être porteurs du désir.
    J’étais curieuse du corps de Pierre Monod. Je l’écoutais et j’essayais de deviner – je vis pour la première fois cette sensation lucidement, en la reconstituant – à la manière dont il prononçait Lee Lou Ching, ou bien Mao, comment il pèserait sur moi.
    Nos différences, son âge surtout, m’attiraient.
    Il devait avoir quarante ans. Peut-être trente-cinq seulement comme moi aujourd’hui. Je croyais alors qu’il avait atteint le lieu où l’on est définitivement soi. J’étais naïve. Je pensais qu’il est un moment dans la vie où l’on devient immobile, et je me sentais si imprécise, si floue encore que Pierre m’apparaissait comme une certitude rassurante. J’aimais même les rondeurs de sa taille, j’avais la tentation d’effleurer son estomac. Qu’il fût presque chauve ne me gênait pas. Au contraire. Il était l’autre, que je voulais connaître pour qu’il m’aidât à percer le mystère de l’âge, qu’il m’accompagnât dans ce territoire qu’on nomme l’état adulte, qu’il m’initiât aux secrets qui donnent la gravité, la sagesse.
    Ce que j’écris est vrai mais l’essentiel se dérobe encore. Je multiplie les vérités bavardes pour dissimuler la vérité brûlante. Je n’ose pas dire simplement que je voulais savoir ce que signifiait faire l’amour avec un homme d’expérience, « un homme mûr ».
    Je hais cette expression toute faite, ridicule, qui fait de la vie un fruit. Avec de tels mots la vie s’émiette. Mais j’avais la tête pleine de ces clichés dont on met trente ans – si l’on a de la chance – à comprendre qu’ils sont truqués.
    J’ai donc écouté Pierre jusqu’à ce que, au moment de nous séparer, un soir – la nuit était tombée, c’était septembre – dans l’entrée, sa porte déjà ouverte, nous fûmes l’un contre l’autre, dans un mouvement qui pouvait paraître de hasard et que nous préparions depuis des semaines.
    Je découvris la douceur dont l’homme est capable. Le corps de Claude était anguleux, celui de Pierre rond. Mais j’apprenais aussi que l’âge ne donne aucune assurance. Pierre, nu, me semblait plus jeune que moi tant il était inquiet. Finies les certitudes de la politique. Oubliés Mao, Castro, Lee Lou Ching. J’avais à côté de moi dans ces après-midi ensoleillées de l’automne, un homme quelquefois enthousiaste et souvent désolé.
    « … Je suis déjà vieux »,

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