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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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déposé cette boîte qui enfermait Mietek, s’approcha : « Madame si… »
    — Retournez au mas, répéta Serge.
    Sarah me prit le bras.
    — Trop tôt, Serge, trop tôt, disait-elle.
    Nous avions déjà commencé à marcher derrière Mietek qui ne vivait plus qu’en chacune de nous.
    Si j’ai dit lehaim mot maléfique, si je veux croire que Serge ait entendu le murmure de Sarah alors que nous traversions l’atelier et qu’une porte claquait au dernier étage de la bastide comme si Mietek avait été encore là-haut, dans les combles, à tordre le fer, à fendre la toile, à reculer de quelques pas, un pinceau ou un outil entre les dents, pareil à un guerrier qui chasse, si ce temps commencé avec notre départ du Mas Cordelier je le retrouve comme un hiver sans feu, c’est que Serge est mort quelques mois plus tard.
    J’ai mis des années avant de pouvoir me souvenir de cette période de ma vie. Il a fallu que naisse Samuel. Dès que j’ai porté mon fils, j’ai ressenti le besoin de savoir ce qu’avait été mon enfance. J’ai cru d’abord qu’il s’agissait de ces rêveries dont parlent entre elles les femmes enceintes, puis j’ai dû admettre, malgré moi, que la seule manière de survivre autrement que dispersée était de mettre au jour mon existence antérieure. J’ai commencé d’écrire ce récit – pour ridicule que soit l’aveu je dois le faire – pour me donner la force d’allaiter Samuel comme si je devais aller puiser mon lait dans le sol enfoui de mes origines, l’enrichir de ma mémoire enfin ouverte, me nourrir et le nourrir de moi.
    J’en suis ainsi venue à ce moment sinistre, la mort de Mietek, puis celle de Serge et, à les rapprocher, m’apparaît ce qui les lie. Je me demande si les vies ne sont pas comme pierres d’un mur, l’un de ceux qui soutiennent les planches autour du Mas Cordelier dans la campagne de Cabris. Pas de mortier pour accrocher les pierres entre elles, mais l’assemblage séculaire des creux et des pleins. Une pierre s’en va et si tombent des pluies d’averse, le mur s’effondre par pans qui laissent voir la terre brune.
    Serge avait trahi Sarah. Une pierre manquait au mur. Mietek mourut, puis Serge.
    Attentat la mort de Serge ?
    Ce fut une hypothèse. Il avait perdu le contrôle de sa voiture comme si la direction s’était brisée. Il roulait à grande vitesse, vers le sud, vers nous peut-être qui l’attendions sans nous l’avouer. Nous apprîmes par les journaux qu’il était sur une liste de personnalités condamnées à mort par l’Organisation de l’Armée Secrète. Elle frappait ici et là. Elle aveuglait une petite fille en voulant tuer Malraux. Elle faisait, disait-on, assassiner des manifestants dans une bouche du métro Charonne. Tout est possible quand la haine se lève. Je ne le savais pas encore clairement. Je l’ai appris depuis.
    Accident la mort de Serge ?
    La vie reprend la vie quand elle veut, à sa manière obtuse qu’on appelle le hasard. Mais Serge avait pu aussi choisir de tenter le diable, de conduire à tombeau ouvert.
    Ces expressions toutes faites, je les emploie à dessein. Les mots se soudent l’un à l’autre selon les lois d’une fusion profonde tels les glissements lents de la géologie de nos vies qui font surgir tout à coup l’accident.
    Serge est mort dans un accident de la route brutal et flamboyant comme une explosion volcanique.
    Des mois qui ont suivi, de notre retour au Mas Cordelier, je ne sais plus rien. Je suis sans mémoire. Les deux lueurs de l’hiver m’ont aveuglée. Sans doute avons-nous Sarah et moi tâtonné, aidées par Élisabeth.
    Je ne retrouve que des images d’été, floues encore.
    Sarah a des mouvements lents. Elle est debout, elle tend ses bras vers les rosiers grimpants le long de la façade. Je suis allongée dans le hamac, j’ai reçu de Suisse une courte lettre de Claude, elle est ouverte sur mon ventre, je l’ai effleurée des yeux comme une trace oubliée de ma préhistoire. J’ai besoin de soleil sur ma peau et non de mots. Je brunis. Parfois je touche avec mes lèvres mon bras. J’aime cette chaleur qu’il semble emprisonner, je découvre qu’il y a une joie passive à vivre et Sarah qui somnole maintenant, assise sous les oliviers, l’éprouve aussi, je le sens.
    Le soir, d’avoir traversé la journée estivale comme engourdies, nous nous sentons coupables. Pourtant, nous avons faim. Il fait frais. Je coupe des tomates, j’écrase de

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